Le syndrome de fatigue chronique (SFC), se caractérise par une fatigue profonde, persistante et handicapante. Ce trouble bouleverserait la vie de 130 000 à 270 000 personnes en France, affectant principalement les adultes entre 20 et 45 ans, avec une nette prédominance féminine (trois femmes pour un homme). Cette estimation vague témoigne de la complexité de cette pathologie et de son diagnostic.

Nous avons tous ressenti les effets d’une asthénie passagère, qui fait passer le moindre geste du quotidien pour un défi insurmontable. Mais, alors qu’une bonne nuit de sommeil ou quelques jours de vacances suffisent généralement à regonfler nos voiles, les personnes affligées du syndrome de fatigue chronique (SFC) sont comme enlisées dans un état d’épuisement constant.

Le SFC entrave profondément le quotidien des personnes touchées, altérant chaque sphère de leur vie, des interactions sociales à la dynamique professionnelle, et de l’épanouissement personnel à la participation active à la vie familiale. Au travail, il peut limiter la capacité à maintenir des horaires réguliers. Les activités sportives ou de loisirs deviennent souvent impossibles, entraînant frustration et isolement. Dans le cadre familial, les simples tâches ménagères et les responsabilités parentales peuvent devenir accablantes.

Le SFC, que l’on appelle aussi « encéphalomyélite myalgique » (EM) ou « intolérance systémique à l’effort » (MISE), est reconnu dans la Classification internationale des maladies dans le chapitre des maladies neurologiques, sous le terme principal de « syndrome de fatigue post-virale ». En France, il est répertorié par l’Assurance maladie. Mais le professeur Jean-Dominique de Korwin, président du conseil scientifique de l’Association Française du Syndrome de Fatigue Chronique, déplore que, dans notre pays, cette pathologie soit peu enseignée dans les facultés de médecine, et que les médecins la considèrent trop souvent comme un syndrome somatoforme, c’est-à-dire un trouble mental caractérisé par une attention pathologique portée aux symptômes physiques. Or il n’en est rien, les symptômes du SFC ont bien des origines physiologiques.

Un diagnostic complexe

Quand une personne consulte pour un état de fatigue intense, souvent après des semaines passées dans cet état, le diagnostic est complexe, étant donné l’absence de marqueurs biologiques. La première étape est de s’assurer que la fatigue n’est pas le symptôme d’une autre maladie, voire tout simplement d’une mauvaise hygiène de vie, qui peuvent entraîner un sentiment d’épuisement. Une insomnie chronique, une dépression, l’anxiété, un état de stress répété, un burn-out, la prise de substances psychotropes (drogue, tabac, alcool) sont autant de portes ouvertes à sa manifestation. La fatigue peut également être causée par une maladie respiratoire ou infectieuse, un cancer, une glande thyroïde capricieuse, une maladie auto-immune, inflammatoire, neurologique ou une diminution du nombre de globules rouges… Les suspects ne manquent pas !

Après avoir écarté ces multiples éventualités, une série de symptômes spécifiques sont examinés. Le patient présente-t-il une dégradation sévère de la concentration et de la mémoire à court terme ? A-t-il des maux de gorge, une sensibilité des ganglions lymphatiques, des douleurs musculaires et articulaires, des maux de tête anormaux, un sommeil non-récupérateur ? A-t-il déjà fait une « crise » de fatigue pendant plus de 24 heures après un effort intense ? L’intolérance à l’effort, qui s’exprime de manière retardée (environ 12 heures), est un marqueur essentiel. Si un patient exprime au moins quatre de ces symptômes, le soupçon de SFC est fort.

Une compréhension limitée de la pathologie

Les études épidémiologiques ont dévoilé diverses sources potentielles du syndrome de fatigue chronique. Un lien entre les traumatismes aigus vécus lors de conflits armés et l’apparition de cette pathologie a été mis en évidence chez d’anciens combattants de la guerre du Golfe. Selon certains scientifiques, la moitié des patients atteints de SFC auraient vécu au moins un traumatisme durant l’enfance. Le risque de développer un syndrome plus ou moins sévère augmenterait en fonction de la gravité des traumatismes consécutifs à un abus psychologique, physique ou sexuel. Cependant, le chevauchement des symptômes entre le SFC et le stress post-traumatique (problèmes de sommeil, difficultés cognitives, anxiété) rend la distinction entre ces deux phénomènes complexe.

Fréquemment, la maladie se manifeste de manière subite à la suite d’une infection virale. Le lien, depuis longtemps identifié, entre la grippe, la mononucléose infectieuse ou l’herpès, et l’apparition des symptômes du SFC, a récemment retrouvé une certaine vigueur avec l’arrivée du virus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de COVID-19, mais aussi de nombreux cas de symptômes chroniques d’abattement après la phase aiguë de l’infection. Cette « COVID longue » partage des similitudes avec le SFC, notamment des douleurs musculaires et des problèmes cognitifs. Toutefois, aucune étude n’a confirmé de lien formel entre les deux pathologies.

Sans expliquer à elle seule le syndrome de fatigue chronique, une hypothèse suggère qu’il n’est pas directement lié à certains virus mais qu’il pourrait être déclenché ou aggravé par une réponse immunitaire anormale à une infection virale. Les personnes souffrant de SFC présentent des caractéristiques immunitaires singulières : un taux plus bas de certaines cellules tueuses, et des lymphocytes (chargées de produire nos anticorps) qui ont des difficultés à reconnaître les microbes pathogènes et s’attaquent à nos propres cellules. Les réactions immunitaires provoquées par les bactéries du microbiote pourraient également être impliquées.

Enfin, ce syndrome est associé à une détérioration significative des cellules musculaires et cérébrales, en grande partie attribuable à un phénomène connu sous le nom de stress oxydatif. Dans le cas du SFC, les radicaux libres, responsables du stress oxydatif, perturberaient plus intensément le fonctionnement normal des cellules et contribuerait à la sensation de faiblesse, ainsi qu’à la difficulté à récupérer après un effort physique. Au niveau cérébral, ce phénomène pourrait interférer avec les processus cognitifs. Le lien entre le stress oxydatif, la détérioration des cellules musculaires et cérébrales, et le SFC est l’un des domaines de recherche les plus actifs.

Pas de pilule miracle pour traiter cette « maladie » invalidante.

Trouver un traitement spécifique contre le SFC demeure un défi majeur pour la médecine et les patients. La complexité du syndrome, ainsi que la variation significative des symptômes, contrarient la mise au point d’un traitement standard efficace pour tous.

Les approches thérapeutiques se concentrent donc sur la gestion des symptômes plutôt que sur une guérison complète. Les médecins mettent en place des stratégies visant à atténuer la fatigue extrême, les problèmes de sommeil et les difficultés cognitives, et à soulager les douleurs musculaires. Elles nécessitent généralement des modifications de style de vie, une gestion du stress, des recommandations nutritionnelles, un exercice physique adapté et des thérapies cognitives pour aider les patients à mieux gérer leur état au quotidien. Une stratégie de gestion de l’énergie, appelée « pacing », encourage la planification des tâches quotidiennes et la limitation de l’intensité et de la durée des activités, afin de maintenir un niveau d’énergie constant. Plutôt que de dépasser leurs limites et de risquer une aggravation des symptômes, les patients sont invités à réaliser leurs activités à un rythme régulier et modéré, et à identifier celles qu’il faut réserver pour les rares pics d’énergie. En adoptant cette approche, les individus souffrant du SFC préservent mieux leur qualité de vie. C’est essentiel, car si de nombreux patients atteints de SFC connaissent des périodes de rémission ou d’amélioration de leurs symptômes, une guérison totale est rare.

Crédits

Texte : JC Moine / Ethnomédia 

Photo : freepik.com