L’excès de masse grasse dans le corps a des causes multiples, dont certaines sont bien connues et d’autres en cours d’étude. Il a aussi des conséquences inquiétantes sur la santé. En France, l’obésité n’est toutefois pas considérée comme une maladie.

L’obésité résulte d’un déséquilibre du bilan énergétique : les calories consommées, et mises en réserve sous forme de lipides (graisses) par l’organisme, ne sont pas suffisamment dépensées. Les graisses s’accumulent alors progressivement dans le tissu adipeux, qui représente habituellement entre 15 et 30% du poids total d’une personne (voire un peu plus chez les femme de plus de 60 ans), et augmente fortement en cas d’obésité. En cause, une alimentation et des comportements alimentaires inadaptés, une activité physique insuffisante, mais aussi bien d’autres facteurs. Le problème est que cette accumulation excessive de graisse corporelle représente un risque pour la santé.

Le diagnostic de l’obésité s’appuie sur la valeur de l’indice de masse corporelle (IMC), aujourd’hui controversée. On l’obtient en divisant le poids en kilogrammes d’une personne par le carré de sa taille en mètres : IMC = poids (kg) / taille (m)². Un individu présente une insuffisance pondérale si son IMC est inférieur à 18,5, une corpulence normale s’il est compris entre 18,5 et 25, un surpoids s’il dépasse 25 et une obésité s’il est supérieur à 30. En France, 17% des adultes seraient concernés par cette une obésité morbide (soit plus de 8 millions de personnes en 2015), contre 13% dans le monde. Rappelons que l’obésité touche davantage les catégories les plus modestes : selon l’Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité pour la Ligue contre l’Obésité (PDF), elle est deux fois plus fréquente chez les ouvriers et les employés que chez les cadres supérieurs.

Si les chercheurs et les médecins parlent bien de maladie à propos de cet excès de masse grasse, l’Organisation mondiale de la santé la qualifiant de véritable « épidémie », l’obésité n’est pas reconnue officiellement en France. Des associations militent pour qu’elle obtienne un statut d’Affection longue durée (ALD), une reconnaissance qui permettrait aux patients en situation d’obésité de bénéficier d’un remboursement à 100%, sur la base du tarif de la Sécurité sociale, des frais de santé liés à leur maladie. 

Obésité : une maladie chronique multi-factorielle

Est-il encore besoin de revenir sur une évidence ? Une alimentation riche en graisse et en sucre fait des ravages d’autant plus sévères qu’elle est combinée à des prises alimentaires trop importantes, au grignotage et à une nourriture privilégiant les aliments ultra-transformés, les boissons sucrées et l’alcool. Ce mauvais cocktail est une des causes incontestables de prise de poids, d’autant plus lorsqu’un mode de vie sédentaire empêche les dépenses énergétiques quotidiennes, indispensables pour évacuer les calories superflues. Cependant, ces facteurs ne sont pas les seuls impliqués dans le risque d’obésité. On sait aujourd’hui avec certitude que cette affection est complexe et ne peut être expliquée par un simple excès de calories.

Le stress, la composition du microbiote intestinal, l’alimentation de la mère pendant la grossesse, certains médicaments, contribuent à la prise de poids. Tout comme l’exposition à certains polluants, souligne Gilles Nalbone, chercheur émérite à l’Inserm, qui rappelle que les cellules adipeuses sont de vraies éponges à polluants et que les perturbateurs endocriniens sont capables de stopper le signal envoyé par les hormones régulatrices de la sensation de faim et de satiété.

La perturbation de l’horloge biologique, due à des repas irréguliers ou au travail nocturne notamment, a aussi été associée à un risque de surpoids. Les mécanismes en jeu sont complexes et impliquent des anomalies de l’immunité, du métabolisme et du contrôle de l’appétit. Le manque de sommeil pourrait, quant à lui, tout autant être une cause qu’une conséquence de la prise de poids.

Pour compliquer le tout, à environnement et comportement similaires, des individus sont plus prédisposés que d’autres à prendre du poids. Des chercheurs ont identifié un puzzle complexe des gènes de l’obésité, suspectant nos chromosomes d’intervenir dans la prévalence de la maladie dans 8 à 10% des cas. Beaucoup de ces gènes sont actifs dans les régions du cerveau qui interviennent dans les mécanismes de récompense et d’addiction. Des mutations de ces gènes perturbent le centre de l’appétit, altèrent la sensation de satiété, incitent à toujours plus de récompense et de plaisir, tout en rendant hypersensible aux aliments les plus addictifs.

Pour autant, le rôle clé de la génétique ne signifie pas que le destin soit scellé. Si des gènes prédisposent à la prise de poids, c’est bien un environnement plus ou moins « obésogène » qui détermine combien de personnes prédisposées deviendront obèses (source en anglais). Il est clair qu’à génétique égale, un consommateur insatiable de chips et de soda, défenseur radical de l’oisiveté, aura sans doute plus de « chance » de grossir qu’un fan de Bugs Bunny, grand amateur de carottes crues et de vagabondages champêtres. Mais il est tout aussi clair que des dysfonctionnements biologiques totalement indépendants de la volonté des personnes obèses rendent leur combat contre la prise de poids particulièrement déséquilibré et injuste.

Les effets connus de l’obésité sur la santé

L’obésité est le premier facteur de risque du diabète et 80% des personnes obèses sont diabétiques. Le tissu adipeux, et notamment celui qui s’accumule autour des viscères (obésité abdominale), est particulièrement délétère. Il libère dans le sang des molécules qui empêchent les muscles et le foie d’absorber correctement le sucre, avec pour conséquence une hausse de la glycémie (taux de sucre dans le sang), que le pancréas va tenter de contrer en produisant davantage d’insuline, l’hormone qui permet aux cellules du corps d’assimiler le sucre. Quand cette augmentation devient insuffisante et que les cellules ne réagissent plus à l’insuline, une hyperglycémie chronique s’installe : c’est le diabète de type 2.

L’hypertension artérielle est deux fois plus fréquente chez les patients en surpoids. Or, il est clairement établi qu’elle représente l’un des principaux facteurs de risque de maladies cardiovasculaires. La maladie de NASH, ou maladie du foie gras, ainsi que l’insuffisance rénale, sont elles aussi plus courantes chez les personnes atteintes d’obésité.

Les maladies articulaires, telles que l’arthrose, ne facilitent pas la vie des personnes obèses. Des études ont montré que l’augmentation de l’IMC contribuerait à un risque considérablement accru d’arthrose du genou (source en anglais) et a pu être corrélé à de l‘arthrose digitale. Ce lien épidémiologique surprenant montre que la surcharge mécanique sur le squelette ne serait pas la seule responsable de cette maladie articulaire : le tissu adipeux augmente probablement le risque d’arthrose en étant lui-même impliqué dans des réactions inflammatoires chroniques.

Une inflammation chronique n’est guère favorable à la résolution d’épisodes infectieux. Même si l’on ne sait pas encore très bien dans quelle proportion et de quelle manière l’immunité des personnes obèses est altérée, le lien entre obésité et risque de complications en cas de maladie infectieuse est avéré. Dans le cas de la Covid, par exemple, près de la moitié des patients en réanimation étaient en situation d’obésité. Dans sa forme sévère (IMC supérieur à 35), elle augmente significativement le risque d’être placé sous respiration mécanique invasive.

Cet état inflammatoire, ainsi que les dérèglements hormonaux (production accrue d’insuline et d’œstrogènes), ne sont sans doute pas étrangers au risque accru de développer un cancer. La corrélation entre le cancer et l’obésité est bien établie pour les cancers de l’œsophage, de l’endomètre (membrane interne de l’utérus), du rein et, dans une moindre mesure, du côlon, du rectum, du pancréas et du sein (chez la femme ménopausée).

Plus de la moitié des personnes obèses souffriraient d’apnée du sommeil. Or, non seulement la fatigue freine l’activité physique, mais une mauvaise qualité du sommeil diminue la sensation de satiété, ce qui ne fait qu’aggraver le problème de surpoids. Elle contribue aussi à dégrader la santé mentale. Si l’on soupçonne certains troubles mentaux de favoriser la boulimie et la prise de poids, l’obésité et la stigmatisation sociale dégradent l’estime de soi et peuvent entraîner une dépression qui, à son tour, peut inciter à l’absorption compulsive d’aliments, voire à une addiction, notamment alcoolique.

L’indice de masse corporelle (IMC) : un indicateur insuffisant

La formule actuelle de l’indice de masse corporelle fut inventée en 1832 par Adolphe Quételet, physicien belge précurseur des statistiques modernes. Elle fut utilisée au début du XXè siècle dans les premières grandes études sur les rapports entre l’obésité et la santé, lancées sous l’impulsion des compagnies d’assurance, qui souhaitaient démontrer que l’obésité faisait baisser l’espérance de vie. L’indice de Quételet devint célèbre après que le professeur de physiologie Ancel Keys (source en anglais) l’eut rebaptisé « indice de masse corporelle » (IMC) en 1972. Mais les médecins ignorèrent la mise en garde d’Ancel Keys contre l’utilisation de cet indice dans les diagnostics médicaux : alors que l’IMC était un outil statistique conçu pour caractériser des populations, il fut utilisé comme marqueur de la santé individuelle. Aujourd’hui, le très controversé indice de masse corporelle ne fait plus l’unanimité : « il ne permet pas de faire la différence entre un kilogramme de gras et un kilogramme de muscle, pas plus qu’il ne permet de tenir compte de la forme du corps et des endroits où est répartie la graisse, lesquels peuvent dépendre, par exemple, de l’origine ethnique ou du sexe ». Autant de paramètres essentiels pour définir le caractère pathologique d’une corpulence « hors norme ».

Pour une même valeur d’IMC, la répartition du tissu adipeux (l’ensemble des cellules où sont stockés les lipides) varie d’une personne à l’autre, avec des risques de complications différents selon les situations. Les scientifiques ont montré qu’une accumulation de graisse au niveau de l’abdomen était liée à un risque accru de diabète, de maladies cardiovasculaires et de certains cancers. C’est pourquoi la mesure du tour de taille, le rapport taille/hanche et le rapport taille/stature sont bien plus utiles pour renseigner l’état de santé d’une personne suspectée d’obésité… Inversement, un IMC normal peut parfois masquer un état d’obésité « invisible ». 22% de la population mondiale pourrait ainsi être obèse, sans toutefois être en surpoids. Les « poignées d’amour » ont beau plaire, elles incitent à être vigilant.

L’obésité : une maladie bien plus complexe qu’elle ne semble

A vrai dire, le tableau clinique n’est pas toujours aussi évident qu’on le pense, certaines personnes obèses étant même considérées en bonne santé. Il y aurait, en quelque sorte, une obésité à risque et une obésité bénigne. L’idée est cependant à prendre avec des pincettes.

Des études ont fait parler d’elles en montrant qu’une obésité modérée ne serait pas néfaste pour la santé, et qu’elle pourrait même parfois procurer un effet protecteur (source en anglais).  De fait, des personnes obèses en « bonne santé » ont une pression artérielle, une sensibilité à l’insuline ou un taux de cholestérol similaires à des personnes de poids normal. Des personnes obèses présentant une insuffisance cardiaque auraient même un meilleur pronostic que des personnes de poids normal, ou minces, avec la même insuffisance. C’est ce que les chercheurs ont appelé le « paradoxe de l’obésité », une notion qui nécessite d’être fortement nuancée.

Ces études importantes permettent de comprendre l’obésité et les liens entre augmentation de la masse grasse et santé, selon un continuum qui ne sépare pas de manière trop manichéenne les personnes obèses des personnes non-obèses. Elles invitent aussi à redéfinir l’obésité, qui devrait être systématiquement caractérisée par l’état de santé, et pas seulement par l’IMC. Toutefois, ces études sont aussi trompeuses. On leur a reproché de ne pas prendre en compte le caractère vraisemblablement transitoire de l’état d’obésité saine. Elles ne tiennent pas compte non plus de la réduction de la qualité de vie, due notamment aux problèmes d’arthrose, de sommeil ou de troubles psychologiques, ni du risque accru de cancer. Les auteurs d’une étude récente (source en anglais), qui montre que la répartition des graisses dans l’organisme peut avoir une incidence « favorable » sur la santé des personnes obèses, insistent fortement sur le fait que l’obésité reste un danger pour la santé : une « adiposité favorable » ne remplace pas un mode de vie sain. Le message est utile et responsable, en ces temps où une certaine banalisation de l’obésité, rendue nécessaire pour contrer la grossophobie ambiante, tend aussi à réduire à néant les campagnes de prévention. Le concept en vogue de « fat but fit » (gros mais en forme), pour séduisant qu’il soit, ne doit pas faire oublier qu’être obèse fait courir des risques en termes de santé physique et mentale.

POUR ALLER PLUS LOIN

Obécoute est une plateforme d’écoute spécialisée dans la maladie de l’obésité. Outil de prévention et d’accompagnement psychosocial, il s’agit de l’unique numéro vert au service des personnes en situation d’obésité, des professionnels du secteur médico-social et de l’ensemble de la population. Toutes les infos sur le site de la Ligue contre l’obésité.

Crédits

Texte : JC Moine / Ethnomédia 

Photo : © Pexels/Pavel Danilyuk