Une jeune fille fume assise dans un canapé

Les niveaux d’usage de substances psychoactives des adolescents et leurs pratiques des jeux vidéo, d’internet et des jeux de hasard et d’argent sont régulièrement évalués dans le cadre de programmes européens qui permettent de suivre l’évolution des consommations problématiques chez les jeunes. Nous faisons le point sur la situation, à partir des enquêtes les plus récentes.

A 17 ans, la plupart des jeunes (9 sur 10) a déjà bu de l’alcool, plus de la moitié (6 sur 10) a déjà fumé une cigarette, et 4 sur 10 du cannabis. Si la consommation de substances psychoactives baissent depuis vingt ans chez les jeunes Français, elle reste cependant parmi les plus élevées d’Europe. Les expérimentations limitées dans le temps ne sont guère problématiques pour beaucoup d’entre eux, mais les usages excessifs peuvent en revanche affecter la santé et le développement des adolescents, dont le cerveau en pleine maturation est particulièrement vulnérable aux agressions extérieures.

Cette période de questionnement et de construction qu’est la sortie de l’enfance, curieuse de tout, n’est pas qu’une aubaine pour les dealers officiels ou illégaux, elle l’est aussi pour les réseaux sociaux où les ados les plus sages trouvent de quoi alimenter leur imaginaire. Ils s’y baignent à l’envie, au risque parfois d’en abuser, de consulter des contenus inadaptés à leur âge, ou de se couper de la réalité. Les jeux vidéos suscitent le plus d’inquiétudes parmi les parents, tout comme les acteurs de la santé. Mais l’accès à la pornographie inquiète aussi les experts.

— Avertissement —

Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), la consommation de drogues est qualifiée de plusieurs manières :

Expérimentation : au moins un usage au cours de la vie (cet indicateur sert principalement à mesurer la diffusion d’un produit dans la population) ;

Usage occasionnel : au moins un usage dans l’année (pour le tabac, il s’agit des personnes déclarant fumer ne serait-ce que de temps en temps) ;

Usage régulier : au moins trois consommations d’alcool dans la semaine, tabagisme quotidien, usage de somnifères ou tranquillisants dans la semaine, 10 consommations de cannabis dans le mois ;

Usage quotidien.

La notion d’addiction dépendant de nombreux facteurs (utilisation répétée d’une substance conduisant à l’incapacité de remplir des obligations majeures, besoin de quantités toujours plus grandes, effet diminué en cas d’usage continu, abandon ou réduction d’activités, etc.), il sera ici question uniquement de restituer les chiffres de consommation, voire de consommation problématique, qui ne sont pas, à strictement parlé, des addictions bien qu’elles puissent y conduire.

Tabac : une baisse généralisée du tabagisme en Europe

Bien qu’elle ne fasse pas partie des meilleurs élèves (la palme revient aux pays d’Europe du Nord), la consommation de tabac chez les jeunes Français suit la diminution remarquable constatée en Europe depuis 20 ans (à l’exception de la Roumanie, où elle a augmenté). Entre 1999 et 2019, la consommation quotidienne à 16 ans a été divisé par deux, passant de 31 % à 12 %. L’expérimentation tabagique précoce, elle aussi divisée par deux à 13 ans, concerne 4 % des adolescents français de 11 ans, 14 % de 13 ans et 45 % de 16 ans.

Les jeunes ne semblent pas être dupes de la difficulté à arrêter le tabac, ni des dommages sanitaires à long terme du tabagisme : risques de cancers, bronchites chroniques et pathologies cardiovasculaires notamment. Selon les experts, les mesures d’augmentation des prix semblent avoir été déterminantes, mais n’expliquent pas, à elles seules, ce succès : les messages de prévention portent peut-être enfin leurs fruits.

Alcool : une consommation trop élevée dans de nombreux pays

Les jeunes Français semblent, en revanche, plus attirés par les boissons alcoolisées que beaucoup de leurs acolytes européens, notamment les plus jeunes. A 11 ans, leur niveau d’expérimentation (consommation au moins une fois dans sa vie) de boissons alcoolisées est deux fois plus élevé que dans le reste de l’Europe (32 % en France, contre 15 % pour la moyenne européenne). A 13 ans, il reste 1,5 fois plus élevé (49 % contre 34 %), les jeunes Français partageant le podium avec la Grèce et le Pays de Galles. Cet écart disparaît à 16 ans, mais à cet âge,  53 % des jeunes déclarent avoir bu de l’alcool au moins une fois dans le mois, ce qui demeure un des taux les plus élevés d’Europe.

Au stade d’expérimentation, les effets de l’alcool peuvent être dangereux car ils sont source de comportements à risques et d’accidents. Une consommation répétée d’alcool à l’adolescence exposerait à une plus grande vulnérabilité à l’addiction alcoolique à l’âge adulte. Mais ce sont surtout les alcoolisations ponctuelles importantes (API), les fameux « Binge drinking » ou « bitures express », qui sont inquiétantes. On parle d’API quand une personne boit plus de cinq verres en une seule occasion. Elles peuvent conduire à des intoxications massives et à un coma éthylique engageant le pronostic vital dans les cas les plus graves, et ont des effets neurotoxiques prononcés sur le cerveau des adolescents, bien davantage que chez l’adulte, et davantage chez les filles que chez les garçons. Elles affectent, en particulier, l’apparition de nouveaux neurones alors que le cerveau est en pleine neurogenèse, ainsi que les capacités d’apprentissage et de mémorisation.

En France, en 2017, les jeunes de 17 ans déclarant une API au cours du dernier mois étaient 44 %, soit près de 5 % de moins qu’en 2014. On observe un recul comparable des API répétées (au moins trois épisodes au cours du mois), qui concernent 16,4 % des jeunes de 17 ans, le pourcentage de jeunes concernés par des API régulières (au moins dix épisodes au cours du mois) restant faible, à 2,7 %.

Cannabis : la substance illicite à l’usage stable

Le cannabis est la substance illicite la plus expérimentée par les adolescents européens : à 16 ans, 16 % en ont déjà consommé une fois.  En France, ils sont 23 %. Notre pays – où l’on note une augmentation de la proportion d’usagers problématiques – demeure, depuis 1999, un des pays où la consommation de cannabis est élevée. Les pays du Nord de l’Europe (Islande, Suède, Norvège et Finlande) ont des niveaux d’usage faibles (inférieur à 12 %), mais la palme revient à l’Ukraine et à la Grèce (8 %).

Le cannabis n’est pas la drogue « douce » que l’on pensait : il est source de troubles avérés de l’attention, de la mémoire, de la prise de décisions. Les scientifiques sont plus circonspects quand il s’agit de décrire ses effets sur les émotions ou la faculté de raisonnement, car la dose, la fréquence, la durée d’exposition, mais aussi la psychologie du consommateur et son histoire de vie, sont des facteurs déterminants. Cependant, une étude australienne (source en anglais) a récemment fait un lien entre la consommation régulière et précoce de cannabis, et la baisse du quotient intellectuel au fil du temps. Et une autre recherche a conclu que cette consommation augmentait les risques de dépression, d’addiction et d’isolement à 35 ans (source en anglais). Même en cas de faibles consommations, des adolescents fragiles peuvent développer des troubles psychotiques, en particulier schizophréniques. Enfin, la consommation précoce de cannabis est corrélée avec un usage régulier à l’âge adulte, et associée à des troubles cognitifs et de l’humeur, même après l’arrêt de la consommation.

Autres drogues, médicaments, produits chimiques, la panoplie est vaste – A 16 ans, cocaïne, crack, LSD, héroïne, ecstasy ont été consommés par au moins 6,1 % des jeunes Français, certains produits étant disponibles sur le dark web. Un chiffre comparable au niveau européen. En 2017, un jeune de 17 ans sur cinq a eu recours à un médicament psychotrope, principalement des tranquillisants ou des somnifères, sans ordonnance médicale..

Gaz hilarant : pas toujours drôle

Le protoxyde d’azote, ou « proto« , est consommé via des ballons de baudruche vendus à de jeunes adultes qui les inhaleront en soirée pour déclencher des fous rires. Mais il connait aussi un succès de plus en plus vif auprès des adolescents. Pas cher et facilement accessible, il est ludique, presque enfantin, et ses effets fun se dissipent très rapidement. Les ados n’ont pas l’impression de vraiment se « droguer » mais seulement de s’amuser avec une substance sans danger. Pourtant, les vertiges, les pertes de connaissance, les vomissements, les brûlures par le froid du gaz, les hallucinations attestent que le produit peut avoir de graves effets. En cas d’utilisation régulière ou à forte dose, le gaz inhalé agissant sur le système nerveux central, il existe un risque de troubles du rythme cardiaque, de troubles psychiques, voire d’atteintes neurologiques et de tétraplégies temporaires nécessitant une rééducation fonctionnelle. On manque encore de données précises sur la consommation réelle de ce produit, mais 134 cas ont été rapportés aux centres antipoison en 2020, contre 46 en 2019, et 254 signalements ont été faits auprès des centres d’addictovigilance en 2020, contre 47 en 2019.

Jeux vidéos : le difficile dosage entre loisir et dépendance

L’utilisation des écrans est ancrée dans notre quotidien et il est bien difficile de sensibiliser les jeunes générations aux dangers de l’hyperconnexion, et notamment aux jeux vidéos quand toute une société a les yeux rivés sur son smartphone. D’autant que jouer peut être l’occasion de développer son imagination, d’expérimenter des relations sociales ou encore d’apprendre.

Pour le pédopsychiatre Olivier Phan, il serait absurde de fustiger ce divertissement ludique et sain pour 95 % des joueurs, mais il faut sérieusement prendre en charge les jeunes adolescents, de plus en plus nombreux, qui développent une pratique pathologique des jeux vidéo. 5 à 9 % des adolescents seraient concernés par un « trouble du jeu vidéo », rentré dans la Classification internationale des maladies en 2019. Les jeux de rôle multi-joueurs en ligne (les MMORPG, Massively Multiplayer Online Role Playing Games), qui se jouent au sein d’univers persistants où le jeu ne s’arrête virtuellement jamais, sont notamment le moyen, pour des enfants en pleine crise identitaire, anxieux, en mal de confiance en eux, ou victimes de harcèlement, de s’évader et de soulager leur souffrance. Mais ce refuge, qui s’accompagne parfois d’un refus scolaire, n’est souvent qu’un pansement qui ne permet pas de résoudre les problèmes.

L’utilisation mal contrôlée des jeux vidéo est le plus souvent transitoire, mais une pratique intensive, une préoccupation constante et un besoin d’augmenter le temps consacré au jeu, une irritabilité ou un sentiment de tristesse quand on n’y pas accès, une perte d’intérêt pour les activités de loisirs, des troubles du sommeil, des mensonges à l’entourage, sont autant de signes qui doivent inciter à en parler, voire à consulter un professionnel en cas de tentatives infructueuses de réduction ou d’arrêt du jeu.

L’échappatoire répétitif, source d’isolement et de dépendance, est d’autant plus problématique qu’il expose les jeunes à des contenus violents ou inadaptés à leur âge. Certains jeux vidéo ont introduit des microtransactions sous forme de «loot boxes» : des pochettes surprises achetées par les joueurs dans l’espoir d’obtenir des bonus, qui rendent le jeu encore plus attractif. Cette exposition précoce à des jeux d’argent déguisés est une porte d’entrée supplémentaire vers une future dépendance au jeux d’argent et de hasard.

N’oublions pas, pour finir, que les longues heures passées devant l’écran le sont parfois au détriment des activités physiques, ce qui constitue « un risque sanitaire préoccupant » selon une étude de l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) publiée en novembre 2020.

L’accès aux contenus pornographiques

18 % des garçons de 14 à 17 ans regardent des contenus pornographiques au moins une fois par semaine, contre 12 % des filles. Certains n’hésitent pas à parler de véritable « pornopandémie » pour décrire l’exposition à la pornographie, qui commence dès l’école primaire.

En dessous de 12 ans, explique le sexothérapeute Alain Héril dans le numéro 620 de L’école des parents, l’enfant n’a pas les outils pour recevoir des images pornographiques, qui font « violemment effraction dans son psychisme » et servent de modèles à son éducation sexuelle. Or, rappelle Justine Atlan dans ce même numéro, « la pornographie montre une sexualité qui n’est pas une relation entre deux personnes » mais entre deux « objets » au service du plaisir. Même si les adolescents sont mieux armés que les enfants pour faire la part des choses, et ne chercheront pas à reproduire cette sexualité dans la réalité, les images peuvent faire naître une angoisse très forte qui « empêchera tout passage à l’acte ». Des jeunes en resteront au  visionnage de vidéos et à la masturbation, d’autres seront incapables de relations sexuelles harmonieuses, totalement coupés de leur désir. Les images pornographiques transforment notre câblage neuronal, explique la neuroscientifique Rachel Anne Barr, qui les tient pour responsables des symptômes dépressifs et anxieux graves des consommateurs. La jeune chanteuse Billie Eilish, qui a récemment déclaré qu’elle avait commencé à regarder du porno à l’âge de 11 ans, se dit aujourd’hui « dévastée » d’avoir été exposée à ces images.

— Pour aller plus loin —

Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention et accompagnement

Les éditions Inserm, 2014

Ce document présente les principaux constats et les recommandations du groupe d’experts réunis par l’Inserm pour répondre à la demande de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) concernant les conduites addictives chez les adolescents, en particulier sur les usages et les stratégies de prévention et d’accompagnement.

Les addictions chez les jeunes (14-24 ans)

Une enquête d’opinion de l’IPSOS sur les addictions chez les jeunes réalisée pour La Fondation pour l’innovation politique, la Fondation Gabriel Péri et le Fonds Actions Addictions. L’enquête se fonde sur un échantillon de 1 000 jeunes âgés de 14 à 24 ans, un échantillon de 402 parents de jeunes de 14-24 ans (402 parents interrogés par Ipsos) et 2 005 personnes interrogées pour mesurer les écarts de perception entre leur propre réalité et celle des jeunes générations.

20 ans d’évolutions des usages de drogues en Europe à l’adolescence

Tendances n° 143, Février 2021

Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT).
Ce numéro de Tendances revient sur les principaux résultats issus de deux enquêtes menées tous les 4 ans depuis 25 ans, dont les rapports actualisés ont été publiés en 2020. Il propose un panorama des évolutions européennes en matière d’initiation et de consommation de tabac, d’alcool et de cannabis entre 13 et 16 ans.

20 réponses sur les troubles liés aux jeux vidéo et à internet

Centre du jeu excessif, Service de médecines des addictions du Département de psychiatrie du CHUV de Lausanne.

Ce document apporte des éléments de compréhension sur la pratique excessive des jeux vidéo et d’internet. Elle s’adresse tant aux personnes qui présentent elles-mêmes une pratique excessive des jeux vidéo ou d’internet qu’aux proches, aux parents et aux professionnels du secteur socio-sanitaire, ainsi qu’à toute personne souhaitant en apprendre davantage sur ces thématiques.

Edition 2022 du baromètre des addictions Ipsos/Macif

Ce baromètre s’intéresse à la consommation de substances psychoactives et aux comportements problématiques des jeunes de 16 à 30 ans.

4 tendances marquantes chez les

– 58 % des jeunes ont déjà perdu le contrôle d’eux-mêmes au moins une fois du fait de leur consommation de substances (alcool, tabac, cannabis, autres drogues) et 70% après avoir passé du temps devant un écran (tendances à la hausse par rapport à 2021).

– Alcool et écrans : une perception du risque toujours très minimisée par les jeunes consommateurs avec notamment 2 jeunes sur 5 qui passe plus de 6h devant un écran/jour (41%).

– 74 % des jeunes déclarent avoir ressenti des troubles, des sentiments de mal-être ou des difficultés concrètes (accidents, situations de violence, problèmes financiers) liées à leur consommation de substances et d’écrans (soit +6 points par rapport à 2021)

– 4 jeunes sur 5 ont déjà adopté un comportement à risque  dans leurs déplacements en raison de leur consommation (83%), dont 62% plusieurs fois. Un tiers d’entre eux est déjà rentré en voiture en tant que conducteur (34%) ou à vélo (31%). 1 sur 5 est déjà rentré en trottinette, hoverboard, rollers (21%) ou en scooter, moto en tant que conducteur (20%).

Crédits

Texte : © J.-C. Moine / Ethnomedia
Photo : © Damian Barczak