Une personne peut devenir dépendante aux médicaments destinés à la soigner. Certains sont composés de substances addictives qui rendent facilement accro, mais d’autres, en apparence anodins, peuvent aussi conduire à une accoutumance plus ou moins forte.
Certains médicaments poussent les patients à maintenir leur consommation afin d’éviter les effets physiques de privation ou de retrouver les effets psychologiques positifs dont ils se sentent privés au moment de l’arrêt d’un traitement. Cette dépendance pharmacologique s’accompagne souvent d’une accoutumance, obligeant à augmenter graduellement les doses pour obtenir les mêmes effets.
Dépendance physique et psychologique
Le corps peut s’habituer à un traitement médicamenteux au point de développer une dépendance physique aux médicaments. Lorsque ce traitement cesse de manière abrupte, l’absence de substances chimiques peut entraîner des symptômes connus sous le nom de réactions de sevrage : anxiété, nervosité, troubles du sommeil, tremblements et difficulté à se concentrer. Ils sont d’autant plus prononcés que la durée du traitement a été longue ou que les doses ont été élevées. Parfois, la dépendance est psychologique. La crainte des conséquences d’un arrêt du traitement incite le patient à le prolonger. La ritualisation de la prise du médicament est source d’une habitude rassurante dont il peut être difficile de se défaire. Alors même qu’aucun symptôme ne l’impose, elle devient un besoin impérieux et irrépressible, comme dans une addiction comportementale (seul le jeu pathologique est cliniquement reconnu comme une dépendance comportementale, mais d’autres troubles comportementaux sont à l’étude). Ce type de dépendance est une relation pathologique avec le médicament qui ne dépend pas seulement de la composition chimique de ce dernier.
Psychotropes, anti-douleurs… mais pas seulement !
On pense spontanément aux médicaments les plus à risque d’addiction, les psychotropes, anxiolytiques et somnifères en tête. Prescrits aux personnes sujettes aux angoisses envahissantes, ils entraînent effectivement très rapidement une dépendance physique, contrairement aux antidépresseurs (même si certains d’entre eux peuvent provoquer des syndromes de sevrage en cas d’arrêt brutal et après des traitements longs).
Les médicaments analgésiques à base d’opiacés, morphine et codéine notamment, entraînent également une dépendance physique. Ils sont consommés par au moins 17 % des Français chaque année. Ces remèdes puissants, adaptés aux douleurs aiguës ou à certaines douleurs liées au cancer, exposent les patients à une accoutumance et nécessitent toujours un arrêt progressif, sous contrôle médical. La prise prolongée et abusive de certains médicaments combinant codéine et ibuprofène pose un réel problème sanitaire quand elle est faite en automédication. « À force de prendre ces médicaments, les patients vont avoir un effet inverse au niveau des récepteurs de leur centre de la douleur. Au lieu de calmer la douleur, les médicaments n’auront aucun effet, ils pourront même au contraire générer des maux de tête », explique le Pr Bergmann. Bien que tous les médicaments contenant de la codéine soient soumis à prescription médicale obligatoire en France, ce n’est pas le cas dans tous les pays européens.
Plus insolite, certains laxatifs peuvent rendre dépendant, bien qu’ils ne contiennent aucune substance addictive. Mais notre corps s’y habitue ; il s’adapte à leur présence et à leur activité. Lorsqu’on les supprime, le côlon peut réagir par un « rebond » de constipation. Le patient poursuit alors le traitement, voire augmente les doses prescrites, car il n’arrive plus à aller à la selle sans médicament. Il en est de même pour certainsdécongestionnants nasaux, qui habituent les muqueuses nasales à recevoir leur dose quotidienne du produit et les rend accro ! Cette dépendance, qui provoque une congestion rebond et une diminution rapide de la durée d’action, engendre une rhinite médicamenteuse, voire de l’hypertension artérielle et des accidents cardio-vasculaires.
Les patients ont souvent besoin d’aide pour apprendre à se passer progressivement des médicaments dont ils sont devenus les esclaves. C’est pour répondre à ce besoin que le premier centre de France spécialisé sur les addictions médicamenteuses (le Centre Ressource Lyonnais des Addictions Médicamenteuses, CERLAM) a été ouvert à Lyon en 2022. L’objectif est de dresser les portraits des multiples visages de l’addiction aux médicaments, du patient qui développe une dépendance aux antidouleurs une fois les douleurs disparues, à celui qui multiplie les consultations chez différents médecins pour obtenir un maximum d’ordonnances.
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