Emmanuel Drouet est docteur en pharmacie, spécialiste des infections virales humaines, et enseigne la microbiologie à la faculté de pharmacie de Grenoble. Il enseigne la santé environnementale depuis de nombreuses années aux futurs médecins et pharmaciens, qu’il invite à considérer les infections microbiennes et virales à la lumière des changements climatiques. Investi dans des actions de sensibilisation du grand public, il évoque pour nous les risques, notamment épidémiques, que nous fait courir le réchauffement climatique, en ces temps où le climato-scepticisme reste tenace.

Jean-Christophe Moine : Dès qu’on parle de réchauffement climatique et de santé, on pense évidemment aux épisodes de canicule et à la surmortalité qu’ils ont provoquée, en particulier chez les personnes âgées.

Emmanuel Drouet : Oui, l’événement qui a marqué les esprits, notamment en Europe, c’est la canicule de 2003, qui a fait 70 000 décès supplémentaires. Ce phénomène va se répéter, et va même s’accélérer. Heureusement, une série de mesures de santé publique comme le « plan canicule » (devenu le plan national de gestion des vagues de chaleur) a permis de beaucoup réduire le nombre de décès de personnes âgées. Une conséquence positive est qu’il n’y a plus eu une telle surmortalité, notamment en France. Les sujets âgés sont mieux pris en charge et des facteurs de risque environnementaux, tels que l’impact des îlots de chaleur urbains, ont pu être identifiés. Même si l’épidémie de Covid nous a un peu fait perdre de vue la gravité des effets du changement climatique, la prévention des risques sanitaires liés aux vagues de chaleur est efficace.

Cependant, nous serons de plus en plus confrontés à des vagues de chaleur qui, même si nous avons pris conscience de leurs effets directs et savons nous y préparer, continueront à aggraver la mortalité, pas seulement chez les personnes les plus âgées, mais aussi chez les enfants et d’autres populations à risque, notamment les travailleurs du BTP. Ceci dit, on ne peut pas raisonner uniquement sur les pics de chaleur, en soi délétères. Au-delà du coup de chaleur, qui a un effet physiologique direct sur les capacités cardiovasculaires et respiratoires et peut entraîner un choc cardio vasculaire mortel – heureusement il existe des mécanismes physiologiques qui permettent de s’adapter –, le réchauffement climatique, avec des hivers très doux et des étés très chauds, perturbe l’ensemble des écosystèmes et de l’environnement. Il faut penser le réchauffement climatique comme une partie du changement global. Les mégafeux, par exemple, sont encore plus inquiétants que les effets directs des vagues de chaleur. Ils génèrent une pollution atmosphérique qui va toucher toutes les tranches d’âge, notamment par les atteintes pulmonaires liées à ces événements. Le dérèglement climatique entraîne des sécheresses mais aussi des événements extrêmes, notamment de fortes précipitations, avec des risques importants de pollution de l’eau et la dissémination de virus et de bactéries entériques (qui concernent l’intestin). On pense évidemment au choléra. On retrouve la bactérie responsable de cette maladie au Danemark, en Pologne, dans les zones lagunaires et sur les côtes de la mer Baltique. Il est logique de penser que le réchauffement climatique pourra entraîner des épidémies. Heureusement, on sait traiter l’eau partout dans le monde et dès que l’on parle de bactéries, on possède de très bons antibiotiques. Mais des épisodes brutaux d’inondation peuvent être dramatiques en Asie, en Afrique, en Inde… A l’inverse, le manque d’eau chronique risque lui aussi d’être catastrophique.

Le réchauffement climatique modifie aussi l’équilibre des cycles biologiques. Certains insectes, plus adaptatifs et vecteurs de maladies infectieuses deviennent plus actifs. Les périodes de pollinisation sont plus précoces. Une biodiversité qui se modifie a nécessairement des effets sur l’homme. Et je ne parle pas seulement de biodiversité macroscopique : le réchauffement climatique a des effets sur la biodiversité microbienne microscopique. Certaines études ont montré que le microbiote de certains animaux (mollusques, poissons, reptiles) a changé sous l’action du climat. Il est possible, bien qu’aucune étude ne l’ait encore démontré, que le réchauffement climatique associé à d’autres changements globaux (alimentaires, médicamenteux) impacte aussi le microbiote humain. Et, encore une fois, si l’on se place à un niveau plus général, si l’on considère le changement climatique comme un aspect des changements plus globaux qui nous imposent de modifier notre alimentation et nous soumettent à une surexposition aux polluants, parmi bien d’autres effets, les impacts sur le microbiote sont alors évidents.

NDLA : Des études ont montré que l’exposition précoce à la pollution atmosphérique est liée à des changements négatifs dans le microbiote intestinal des nourrissons.

JCM : Vous évoquez les impacts écologiques et les insectes vecteurs de maladies. En tant que virologiste, pensez-vous que le réchauffement climatique doit nous faire craindre l’arrivée en France et en Europe de moustiques habituellement tropicaux, et des épidémies de fièvre jaune ou de dengue, des maladies jusqu’alors exotiques ?

ED : Les virus transmis par les moustiques que vous évoquez sont majoritairement des virus appartenant à la famille des Flaviviridae. Le plus connu est le virus de la dengue, qui peut provoquer une fièvre hémorragique grave (mortelle dans plus de 2,5 % des cas). C’est un virus qui est maintenant ubiquitaire, c’est-à-dire qu’il peut se développer n’importe où dans le monde. Au départ, il circulait essentiellement en milieu forestier, chez les primates. Et puis, avec la déforestation et l’urbanisation, les populations de virus qui circulaient chez les primates ont atteint les êtres humains, notamment en Amérique du Sud, avant de se diffuser sur tous les continents, y compris en Europe. Il représente une menace très importante parce qu’il est véhiculé par deux moustiques, Aedes aegypti, habitant les zones tropicales, et Aedes albopictus (Moustique-tigre), une espèce très invasive venant d’Asie du Sud-Est, que l’on retrouve sur tous les continents et à toutes les latitudes.

Quand on parle de maladie vectorielle, il faut savoir deux choses. Tout d’abord, le vecteur, ici le moustique, doit être « compétent » génétiquement pour vectoriser un virus donné. Autrement dit, il doit être génétiquement capable de répliquer le virus qui sera ensuite transmis à un hôte (en l’occurrence, la personne qu’il pique). Le moustique Aedes albopictus est compétent pour les virus de la dengue, le virus chikungunya et le virus Zika. A cela s’ajoute la « capacité vectorielle » des insectes, déterminée grosso-modo par la probabilité avec laquelle ils seront infectés par le virus et avec laquelle ils le transmettront à des hôtes. Plus les moustiques sont abondants, plus leur longévité est importante, plus ils apprécient le sang d’une espèce donnée, et plus cette capacité vectorielle est forte. Dans les pays tropicaux, où la température est élevée et où l’on ne connaît pas le phénomène de diapause (arrêt temporaire de l’activité ou du développement chez les insectes), les conditions épidémiques sont réunies, contrairement aux régions tempérées, où la trêve hivernale permet de limiter l’augmentation des populations de moustiques.

Imaginons maintenant qu’en Europe la température devienne plus douce en hiver et que les œufs pondus à cette période puissent éclore. Les moustiques seraient alors présents toute l’année. Imaginons qu’un moustique infecté par le virus de la dengue débarque dans un port français, par exemple à Marseille. Toutes les conditions seraient alors réunies pour que ce virus se multiplie et se transmette rapidement à la population autochtone de moustiques, puis à l’homme. Ce n’est pas juste une hypothèse. En 2022, neuf foyers de transmission de dengue, totalisant 65 cas autochtones, ont été identifiés en France. C’est du jamais vu, la situation est à suivre de très près. Ce qui est inquiétant, c’est que la population européenne n’est pas protégée par une immunité de groupe, comme c’est le cas dans les régions du monde où les gens sont en contact avec le virus depuis longtemps (Amérique du Sud, Afrique). Si la température augmente effectivement de 1,5 degré à l’horizon 2030-2050, la dengue pourrait être une des premières maladies à se diffuser, avant toutes les autres, parce qu’elle est déjà toute proche. Cela reste imprévisible. On a beau faire des modèles mathématiques, on ne peut jamais faire de prédiction. Mais il est essentiel de s’y préparer pour ne pas être pris au dépourvu, car il n’y a pas de traitement antiviral et, pour le moment, le vaccin n’est pas sûr.

Un autre virus inquiétant est le virus chikungunya. On a connu des épidémies sur l’île de la Réunion. La péninsule italienne a été touchée également. Là encore, il n’y a pas de traitement et pas de vaccin. La maladie ne provoque pas de fièvre hémorragique, mais des douleurs articulaires sévères, qui peuvent persister pendant des semaines, voire des années, et s’avérer être très handicapantes. Pour le moment, il manque encore le petit maillon pour que la capacité vectorielle s’exprime, c’est-à-dire la chaleur, associée à une humidité favorable aux moustiques.

Le virus West Nile (qui provoque des encéphalites) est un autre exemple intéressant. Il n’existait que sur le continent africain et un tout petit peu sur le pourtour méditerranéen. Il n’y en avait pas aux USA. En 1999, des millions d’oiseaux ont été retrouvés morts dans les rues de New York, infectés par le virus West Nile, qui avait sans doute été véhiculé par un moustique, débarqué d’une soute d’avion. Et, à partir de cet évènement, des vagues épidémiques, à des périodes de forte chaleur, ont fait une dizaine de milliers de morts aux USA. Le virus est implanté durablement sur le continent américain depuis cette époque.

D’autres maladies, comme la fièvre jaune ou la maladie du sommeil, ne poseront pas le même problème en Europe car elles sont dues à des virus typiquement africains. Elles vont donc rester localisées à la zone intertropicale africaine.

J’insiste surtout sur le fait que le réchauffement climatique est une petite partie du problème. Il faut absolument penser en termes de changement environnemental global. Les maladies virales, bactériennes, les infections fongiques (dues à des champignons), seront plus fréquentes, et les maladies pulmonaires et cardio-vasculaires seront aggravées par les changements auxquels nous allons devoir faire face. Le monde ne sera plus comme avant, de manière irrémédiable. Ce constat touche toute la population, mais particulièrement les jeunes et les très jeunes. Cela crée des formes d’angoisse que l’on regroupe sous le terme éco-anxié. Ce ne sont pas des angoisses classiques et elles ne se soignent pas avec une petite pilule bien dosée. Mais les psychiatres et les psychologues en parleront mieux que moi !

POUR ALLER PLUS LOIN

Retrouvez les analyses d’Emmanuel Drouet dans le journal engagé Politis.

Un épisode du podcast « Les voix de la prévention » est consacré à l’éco-anxiété : Hélène Jalin. L’éco-anxiété : de la souffrance psychologique au sursaut écologique.

Le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) craint une «augmentation des cas» de de dengue, Zika et chikungunya en France métropolitaine à l’occasion de grands évènements sportifs comme les Jeux olympiques : Pourquoi les JO de Paris inquiètent les autorités sanitaires qui surveillent le moustique tigre.

Un article récent de France Info : Comment les crises environnementales placent la France sous la menace de nouvelles maladies.

Crédits

Texte : JC Moine / Ethnomédia 

Photo de Joshua Rawson-Harris sur Unsplash