Des scientifiques ont analysé 10 000 ans d’évolution du système immunitaire humain. Ils ont découvert que la dernière grande mutation de notre immunité datait de l’âge du bronze, il y a 4 500 ans. Si elle nous a permis d’être mieux armés contre les infections, cette évolution rapide aurait aussi favorisé notre sensibilité aux maladies auto-immunes.

Alliés des anthropologues qui fouillent le sol pour mettre au jour les ossements humains anciens, des paléogénéticiens extraient l’ADN de ces restes fossiles pour analyser les milliers de mutations génétiques qui font de nous ce que nous sommes aujourd’hui et cherchent à comprendre les origines et l’évolution de notre état de santé actuel. Preuve de l’importance de cette discipline, en 2022 le prix Nobel de physiologie-médecine a été attribué au paléogénéticien Svante Pääbo, précurseur de l’extraction d’ADN, notamment celui de l’homme de Neandertal, cette autre espèce humaine qui vécut pendant un temps avec nos ancêtres Homo sapiens, et dont nous possédons encore 1 à 4 % d’ADN. Un pourcentage certes minime, mais dont le chercheur a montré, en 2020, qu’il pouvait aggraver les formes de COVID-19.

Les effets de la sélection naturelle sur les gènes de l’immunité

Des scientifiques français ont récemment retracé l’évolution du système immunitaire humain en comparant les génomes de plus de 2 376 Homo sapiens européens anciens à ceux de 503 de leurs descendants modernes (soit 1,3 million de mutations ou « variants » de l’ADN en tout) sur une période de 10 000 ans. Le début de l’âge du bronze, il y a 4 500 ans, a particulièrement retenu leur attention.

A cette période, la fréquence de certaines mutations génétiques a fortement diminué, parce qu’elles entraînaient des maladies et désavantageaient les réponses immunitaires contre les infections, alors que d’autres mutations ont rapidement augmenté, car elles étaient à l’inverse avantageuses dans la défense anti-infectieuse de l’organisme.

Les modifications importantes et rapides de notre immunité à cette période, localisées dans 89 gènes impliqués dans l’immunité innée (présente dès la naissance), pourraient être consécutives à deux phénomènes concomitants. D’une part, la transition vers un mode de vie basé sur l’agriculture, débuté quelques millénaires plus tôt, a entraîné une exposition accrue à de nouveaux agents pathogènes mortels. Ces derniers auraient constitué une pression sélective, c’est-à-dire un facteur environnemental suffisamment fort pour favoriser les individus porteurs des modifications génétiques avantageuses, jusqu’à ce que la population en soit majoritairement bénéficiaire après quelques générations de sélection naturelle. D’autre part, à l’âge du bronze, les populations eurasiennes ont tissé des liens culturels et économiques sur l’ensemble du sous-continent, quelles que soient les distances qui les séparaient. La croissance démographique de cette période, ainsi que le développement des échanges et les importantes migrations – notamment des Yamnayas, nomades des steppes eurasiennes –, auraient permis un brassage important des populations, contribuant à une sélection rapide des traits immunitaires bénéfiques. C’est ainsi, à la même époque, que se serait propagé le virus de l’herpès que nous connaissons aujourd’hui, certains chercheurs se plaisant à y lire la conséquence des migrations et de la diffusion d’une habitude culturelle, le baiser.

La théorie de l’évolution de Darwin en quelques mots
Les mutations sont spontanées et aléatoires, et elles sont « conservées » ou « abandonnées » selon qu’elles permettent ou non une bonne adaptation à l’environnement. Exemple célèbre : le cou des girafes. Ce n’est pas parce que les branches des arbres chargées de feuilles appétissantes étaient très hautes que les gènes déterminants la longueur du cou des girafes mutèrent sous l’action des animaux tendant désespérément leur bouche vers le ciel (théorie du transformisme de Lamarck) ; mais c’est parce que des girafes, dont les gènes avaient muté, se trouvèrent bien plus avantagées que leurs congénères au cou trop court pour survivre dans un milieu spécifique composé d’arbres hauts, que leur population augmenta au détriment de celle qui n’était plus adaptée au nouvel environnement. La théorie moderne de l’évolution est évidemment beaucoup plus compliquée – notamment depuis que l’on connaît mieux les processus épigénétiques –, mais les bases darwiniennes restent actuelles.

La sélection naturelle peut aussi avoir des effets délétères

Les mutations permettant de mieux résister aux maladies infectieuses, comme la peste, ont malheureusement eu une contrepartie : elles ont augmenté le risque de maladies inflammatoires et auto-immunes, c’est-à-dire des maladies dues à des réactions immunitaires innées activées de manière trop forte, parfois en l’absence d’infection, voire tournées contre son propre organisme. Si la prévalence de ces troubles est en partie due à l’augmentation de l’espérance de vie au cours des derniers siècles, elle pourrait être liée à la capacité de certains gènes d’agir sur plusieurs caractères et d’avoir des effets opposés, selon la théorie de la pléiotropie antagoniste des gènes (par exemple, certains gènes, qui accroissent la capacité de reproduction des individus jeunes, sont favorisés par l’évolution, même s’ils deviennent plus tard défavorables à leur santé cardio-vasculaire, donc leur survie). Ainsi, la sélection de gènes bénéfiques pour lutter contre les infections aurait aussi conduit à un risque génétique plus élevé de troubles gastro-intestinaux inflammatoires. « Il y a eu un prix à payer » pour acquérir des mutations protectrices des maladies infectieuses, affirme le généticien Lluis Quintana-Murci, le chercheur qui a dirigé ces travaux.

 « Nous sommes, vous et moi, les descendants de ceux d’entre nos lointains aînés qui ont survécu aux grandes épidémies du passé. »
Lluis Quintana-Murci, titulaire de la chaire Génomique humaine et évolution du Collège de France, cité par lesechos.fr.

Ces recherches nous montrent que notre état de santé est le résultat de processus immunitaires complexes, dédiés au maintien permanent d’un état d’équilibre (homéostasie), au gré de nos rencontres avec les innombrables organismes microscopiques, qui sont autant de pressions sélectives nous obligeant à évoluer en permanence. Elles permettent de comprendre l’héritage des épidémies passées dans la diversité du génome humain et expliquent en partie les disparités actuelles en termes de risque de maladies infectieuses et inflammatoires. Enfin, ces connaissances sur les processus d’évolution de notre immunité sont essentielles pour élaborer de nouvelles prises en charge et de nouveaux traitements.

Crédits

Texte : JC Moine / Ethnomédia 

Photo : freepik.com