L’apparence physique influence la perception que nous avons de nous-mêmes est des autres. On se défend contre les sentiments injustes que provoquent les traits d’une personne, mais les stéréotypes physiques du « beau » nous influencent, dans tous les champs des interactions sociales. La prime à la « beauté » s’exercerait même dans la vie professionnelle.

On conseillait naguère aux personnes un peu rondes, et surtout aux femmes il faut bien l’admettre, de s’habiller avec des vêtements amples de manière à cacher leurs formes. On pourra arguer une certaine évolution par rapport à d’autres époques qui leur imposèrent le corset pour « corriger » les silhouettes « disgracieuses »… Mais plutôt que les planquer, beaucoup aimeraient offrir aux regards la « divine corpulence » vantée par Ronsard ou l’embonpoint appétissant et les cuisses dodues d’un personnage de Rubens, sans avoir à en souffrir, ni même à en rougir.

Las ! Aujourd’hui, la minceur (parfois extrême) est la norme, elle s’affiche partout, dans la mode, le cinéma et la presse féminine (et dans une moindre mesure masculine), qui nous aide même à choisir les dessous à privilégier quand on a un petit bidon. Mesdames, c’est simple et efficace : optez pour des culottes gainantes et choisissez « un bon soutien-gorge, essentiel pour détourner les regards de votre ventre rebondi et les diriger sur votre poitrine » (sic !). Les plus téméraires, refusant de se soumettre à ce diktat de l’apparence, s’exposent à l’opprobre. La chanteuse Amel Bent en a récemment fait les frais, après son passage télévisé dans une robe moulante qui mettait en valeur ses formes de nouvelle maman… Mais elle n’a pas attendu pour réagir : « À toi grossophobe, ce n’est pas à nous de cacher nos corps, mais à toi de t’habituer à les voir tels qu’ils sont », #postpartum, #jassume.

Les conséquences ? Une perception de soi altérée : six femmes sur dix, âgées de 18 à 34 ans, seraient gênées par leur apparence, et plus d’une Française sur trois ne s’estimerait pas comblée par sa morphologie, selon un sondage OpinionWay de 2021. Dans un sondage réalisé pour Meetic en 2016, les trois quart des femmes interrogées avouaient dissimuler la partie du corps qui les complexe avant une première rencontre, contre seulement 40 % des hommes.  Plus discrets sur le sujet, les hommes se confient cependant aussi sur leurs complexes, principalement liés à leur ventre, leur calvitie, leur transpiration, leurs dents jaunes et la taille de leur pénis, régulièrement citée. Mais il sont bien plus épargnés que les femmes. Si l’on trouve aussi des publicités pour des sous-vêtements « amincissants » dédiés aux hommes qui ont du ventre, ces derniers n’ont pas à endurer la même pression. Sur Twitter, les hommes avec un peu de ventre ont même leur hashtag mignon : #dadbod, « corps de papa » en argot. On est beaucoup plus sympa avec les papas qu’avec les mamans…

L’attrait physique, une valeur professionnelle à géométrie variable

Au gré des modes, des époques et des cultures, la taille et la forme du corps, la qualité de peau, son âge apparent, les traits du visage, le nez, les yeux, les seins, les fesses, les cheveux, sont l’objet de critiques et de complexes selon qu’ils sont, dans le désordre,  gros, longs, petits, roux, tombants, retroussés, lisses, blancs, plats, frisés, halés… On ne brûle plus les rousses suspectées de lien avec Satan mais on en connaît plus d’une qui se serait bien passée des moqueries dans la cour d’école. Le sujet pourrait paraître léger à ceux qui n’ont jamais eu à souffrir de leur apparence. Mais la sociologie a bien montré à quel point les normes de « beauté » sont de puissants outils de discrimination sociale. Y compris dans le monde du travail.

Dès l’école, l’attrait physique d’un enfant le ferait paraître plus compétent et intelligent aux enseignants, qui lui prédisent plus de chances de succès. C’est ce qu’on appelle l’effet de halo : quand on accorde une caractéristique positive à une personne, on a tendance à lui accorder toutes les autres. Cette première impression, très puissante, est bien connue des communicants et des politiciens, qui la manipulent abondamment ; mais aussi des recruteurs, de manière plus inconsciente. Beaucoup d’employeurs jugeraient qu’un physique séduisant est un critère important de recrutement, explique Jean-François Amadieu, spécialiste des déterminants physiques de la sélection sociale. L’impact du physique est cependant d’autant moins fort que les « compétences académiques et la lettre de motivation sont formidables », tempère Jean-François Marmion, auteur de Psychologie des beaux et des moches (Éditions Sciences Humaines). Ouf ! Mais globalement, les gens « attrayants » physiquement grimpent davantage dans la hiérarchie et sont mieux payés. Une étude australienne a mis en évidence que les homme les plus séduisants gagnent 22 % de plus que la moyenne, et les moins attractifs physiquement gagnent 26 % de moins. Est-ce pour cette raison qu’en France, un homme sur deux ayant recours à la chirurgie esthétique le fait pour des raisons professionnelles ?

C’est encore une fois bien différent pour les femmes. Les jolies blondes par exemple, un peu rapidement considérées comme superficielles, voire décérébrées, sont victimes du stéréotype inverse : elles peinent à être prises au sérieux quand elles postulent dans le management, la finance, la recherche ou l’ingénierie mécanique (source en anglais). Leur chevelure, symboliquement associée à la séduction et la sensualité, ne serait pas compatible avec l’idée de compétence et de sérieux. Les « belles » femmes sont aussi plus fréquemment victimes de harcèlement sexuel au travail.

Quand les normes de beauté perturbent la santé mentale

Lorsque votre physique est valorisé, explique la psychologue Tonya Frevert, « vous devenez plus confiant, vous avez plus de croyances positives et plus d’occasions de démontrer vos compétences ». A l’inverse, une personne qui ne répond pas ou considère qu’elle ne répond pas aux normes et aux canons de sa société, peut développer un trouble de l’image de soi caractérisé par une anxiété et une angoisse qui l’empêche de se sentir bien en public. La peur de ne pas plaire et d’être rejeté, qu’elle soit le fruit d’un fantasme ou d’expériences malheureuses bien réelles, peut la paralyser, au point d’éviter les photographies, de s’interdire d’aller à la plage, voire d’inventer des stratégies pour ne pas se dénuder devant sa ou son partenaire sexuel, tant l’épreuve est douloureuse… Sentiment de honte, isolement social, conduites alimentaires à risque, voire développement d’une véritable scopophobie (crainte d’être observé par les autres) peuvent nécessiter une thérapie qui permettra de retrouver et de renforcer l’estime de soi, d’accepter le regard des autres, d’accepter d’être « imparfait », et de comprendre que l’on reste désirable. Même si l’on ne ressemble pas à une star des écrans. Et même sans recours compulsif à la chirurgie esthétique !

« Le poids, la non-conformité des formes corporelles, les effets visibles de l’âge, voire la maladie et ses conséquences, sont stigmatisés et engendrent honte (d’être tel qu’on est) et culpabilité (de ne pas parvenir à être tel qu’on le voudrait)» Gérard Apfeldorfer, Le Corps comme icône en souffrance

S’opposer aux stéréotypes et aux discriminations physiques

Les rares individus qui répondent aux critères les plus exigeants des représentations idéales de la beauté, sont des figures d’exception, passées sous les outils de retouche informatiques, qui ne sauraient servir de modèle. La perfection physique, toute relative, n’est pas de ce monde. Instagram semble avoir mesuré à quel point ces représentations sont néfastes pour les adolescents quand ils se comparent aux influenceurs et aux égéries de mode. « Nous empirons le rapport à son corps d’une ado sur trois », a affirmé le réseau social au terme d’une enquête interne (source en anglais) qui alerte sur les effets problématiques des stéréotypes sociaux, de la beauté physique des influenceurs ou de l’hypersexualisation des filles.

Il n’est pas toujours facile de trouver la bonne mesure face aux injonctions paradoxales de notre société : être libre, accepter son apparence, cultiver sa singularité, tout en se conformant à la mode, aux normes du chic, parce qu’on a quand même, c’est humain, envie de plaire. Quelques rares maisons de mode commencent à valoriser la différence en dépassant des critères de beauté normative dénoncés depuis des années comme une apologie dangereuse de la maigreur. Elles ont le mérite de faire bouger les lignes dans un secteur qui a une forte influence et responsabilité dans la création des icônes. La montée en puissance, grâce aux réseaux sociaux, des « discours qui luttent contre les préjugés physiques » est un signe qui laisse espérer que la société s’ouvre enfin à des représentations variées de la perfection, une stylisation plus bigarrée des apparences et des looks, et un goût plus affirmé des « imperfections ».

L’idée que les représentations du corps qui nous sont imposées ont des conséquences sur notre bien-être est devenue un sujet de bataille légitime, explique le sociologue а Thibaut de Saint Po. L’avenir nous dira si l’élan body-positive, initialement créé pour libérer les femmes des images qui les maintiennent dans une lutte perpétuelle contre leur corps, aura les effets escomptés. Mais pas sûr, comme l’écrit une journaliste de Slate, que « cellulite, vergetures, cuisses replètes et bidon grassouillet supplanteront de sitôt les corps lisses en une des magazines » !

Pour la psychanalyste Catherine Grangeard, « soutenir la construction d’une sorte de portrait-robot de l’être beau et désirable, c’est faire le lit d’une société fascisante ». En ce sens, la débauche libre et assumée de corps quasiment nus et d’une variété infinie, qui envahissent les plages chaque été, ferait presque figure d’acte militant !

Crédits

Texte : JC Moine / Ethnomédia