Alors que l’effet placebo est connu depuis longtemps, on commence seulement à comprendre les mécanismes qui permettent à des substances inertes d’avoir un effet bénéfique sur certains symptômes cliniques.
En 1803, en Angleterre, le New Medical Dictionary donna la première définition précise du placebo : « une épithète donnée à tout remède présent pour faire plaisir au patient plutôt que pour lui être utile ». Un faux médicament donc, comme les pilules de mie de pain enveloppée dans du papier d’argent que le docteur Corvisart, médecin de Napoléon 1er, donnait à Joséphine pour répondre à sa demande incessante de médicaments.
Ce n’est qu’en 1938 qu’une étude utilisa pour la première fois le mot placebo pour décrire un traitement « inerte » donné comme référence dans une étude clinique. Elle permit de remettre en cause l’efficacité d’un vaccin contre le rhume en comparant les symptômes de deux groupes de personnes, le premier traité en recevant des gélules contenant le vaccin, et le second, des gélules contenant du lactose. Or, le produit inerte eut le même niveau d’efficacité que le vaccin.
L’expérience fondatrice de l’effet placebo se serait vraiment jouée sur le front italien, en 1944, lorsque le lieutenant-colonel américain Henry K. Beecher, médecin anesthésiste, en manque de morphine pour soulager les soldats blessés, aurait décidé de leur administrer une solution saline. Face à l’efficacité du placebo, il aurait même pu opérer certains soldats sans anesthésie. L’histoire, largement diffusée, est belle, mais vraisemblablement fausse, sans qu’on sache vraiment comment s’est construit le mythe. En revanche, son expérience comme médecin militaire le confronta à des soldats dont les réponses à la douleur étaient quantitativement différentes de celles de ses patients chirurgicaux habituels. Ce constat inspira ses travaux ultérieurs, dans les années 50. Il compara notamment la morphine et un placebo pour étudier l’implication de facteurs psychologiques dans la physiologie du contrôle de la douleur. Cette étude servit de référence pour le développement des méthodes de validation de l’efficacité des nouvelles molécules pharmacologiques, via les essais cliniques en double aveugle que l’on connait aujourd’hui (dans lesquels ni le soignant ni le patient ne savent quelle molécule est reçue de manière à ne pas influencer les résultats). En France, le terme placebo entra officiellement dans la 17e édition du Dictionnaire des termes techniques de médecine en 1958.
Du placebo à l’effet placebo
Longtemps associé au charlatanisme, la mauvaise réputation du placebo laisse aujourd’hui la place à une curiosité croissante et des découvertes qui confirment l’intérêt médical de ces « poudres de perlimpinpin » aux effets bien réels.
Les placebos « purs » sont des substances inertes, ayant l’apparence d’un médicament, mais dépourvues de pouvoir pharmacologique. Les chercheurs utilisent généralement du lactose ou du sérum physiologique dans les essais cliniques comparatifs. Les placebos « impurs » sont des produits actifs sur le plan pharmacologique mais n’ayant pas démontré scientifiquement leur efficacité (comme certains compléments alimentaires), ou des médicaments dont l’action pharmacodynamique est sans rapport avec la pathologie traitée (la vitamine C est un remède validé dans le traitement du scorbut mais n’a pas d’effet prouvé sur la fatigue).
L’administration de ces placebos peut produire un effet inattendu : c’est ce que l’on appelle « effet placebo ». Ce phénomène complexe a été défini dans les années 90 comme « une modification de la maladie d’un patient, attribuée à l’effet symbolique du traitement et non pas à ses propriétés pharmacologiques ou physiologiques propres. Il est compris dans tout acte thérapeutique et ne nécessite pas forcément un médicament placebo ». En effet, l’effet placebo n’est pas l’apanage des placebos. Les « vrais » traitements doivent aussi une partie de leur efficacité à un effet placebo.
Contrairement aux idées reçues, il n’existe pas de personnes placebo-sensibles ou placebo-résistantes : tout le monde peut être placebo-répondeur. En fait, l’effet placebo est variable car il dépend de nombreux facteurs individuels et contextuels. Les croyances et les connaissances du patient, sa perception du traitement, ont un impact sur l’effet placebo, tout comme la personnalité du médecin, qui joue un rôle primordial. Les capacités d’écoute, d’empathie et d’attention de ce dernier sont essentielles. Tout comme sa réputation et son statut : un temps appelé « effet médecin », cette influence de l’autorité médicale, connue depuis Hippocrate, a eu une illustration inattendue dans une étude montrant un effet plus intense du placebo quand il était reçu d’un médecin plutôt que d’une infirmière. Plus étonnant, des placebos administrés sous forme de comprimés rouges, jaune ou orange seraient psychostimulants alors que ceux administrés sous forme de comprimés bleus ou verts seraient tranquillisants. Et les médicaments au goût désagréable seraient plus efficaces… Plus surprenant encore, des « chirurgies placebo », ou opérations fantômes (par exemple, des patients opérés pour une revascularisation cardiaque chez qui on ne fait qu’ouvrir le thorax sans intervenir sur les vaisseaux) ont eu autant de bénéfices que des interventions complètes. Mais ce type d’intervention, ou plus justement de non-intervention, pose évidemment un sérieux problème éthique.
Le placebo, un vrai médicament d’avenir ?
L’imagerie fonctionnelle cérébrale, qui permet de visualiser l’activité des zones du cerveau, aide à faire évoluer la compréhension de l’effet placebo. L’apport des neurosciences est essentiel. Elles ont pu démontrer, concernant notamment l’effet placebo anti-douleur, que le phénomène met en jeu des interactions complexes entre mécanismes psychologiques et neurobiologiques. La prise d’un placebo dans un contexte adapté induit des attentes de soulagement chez le patient, qui entraînent à leur tour l’activation d’aires cérébrales impliquées dans la régulation de la douleur, et la libération d’endorphines et de dopamine aux effets antalgiques.
Si la prescription de placebos à l’insu des patients ne peut évidemment pas être envisagée en dehors du protocole des essais cliniques randomisés, les médecins voient cependant dans l’effet placebo un nouvel outil thérapeutique prometteur, notamment quand il accroît l’efficacité d’un traitement. On sait aujourd’hui qu’un placebo présenté comme tel à un patient informé des mécanismes de l’effet placebo, permettrait de déclencher les mêmes effets que s’il était tenu dans l’ignorance de prendre une molécule inerte. Ces « placebos honnêtes » ont de l’avenir.