Eudes Ménager, médecin neuro-vasculaire, urgentiste de formation, créateur  d’entreprises, expert en santé numérique, conseiller pour startups, est un geek  passionné de jeux vidéos et de nouvelles technologies. Dans ce nouvel épisode  des Voix de la prévention, il questionne son propre usage des écrans, notre  tendance naturelle à nous laisser déconcentrer par les innombrables occasions  de nous distraire, notre attirance pour le flot continu d’informations et de  sollicitations numériques, et les impacts sur notre santé de notre dépendance  aux réseaux sociaux.

Fenêtres sur le monde et les autres, les écrans numériques happent notre regard et  nous offrent mille et une raisons de plonger dans une consommation effrénée des  contenus tous plus alléchants les uns que les autres, pour exciter notre curiosité et  nous clouer sur notre chaise, fascinés et, souvent, hébétés. Prenez le smartphone,  devenu un outil indispensable pour téléphoner, se guider sur la route, échanger son  billet de train, calculer, mesurer, vérifier son activité physique, son pouls, l’état de son  compte en banque… mais aussi exister socialement, aimer le monde, se faire aimer de  lui, partout, tout le temps. Notre dépendance à ce petit objet est telle qu’elle peut  entraîner une véritable angoisse de séparation lorsque le réseau vient à manquer ou  que l’on a oublié son chargeur. Que doit-on craindre de l’hyperconnexion et de ce  temps toujours plus long passé sur les écrans ? Comment concilier l’intérêt des outils  numériques, aujourd’hui indispensables, et les dangers des usages souvent  immodérés qu’on en fait ? La frontière entre curiosité et comportement pathologique  n’est pas toujours très nette, et il arrive bien souvent que la dépendance nous guette  au détour des likes et dans l’attente des followers qui s’intéresseront virtuellement à nous. Pour se préserver, il est indispensable, nous explique Eudes Ménager, de  respecter une bonne hygiène numérique, composante essentielle de notre hygiène de  vie et de notre santé.

Retranscription écrite :

Journaliste : Bienvenue dans les voix de la Prévention, un podcast proposé par Apivia Prévention et Ethnomedia.

Eudes Ménager : Je suis un vrai geek, je jouais beaucoup, je joue un peu moins maintenant. J’étais un hyperconnecté. C’était un peu mon mode de fonctionnement ça l’est toujours. Ca c’est un peu assagi avec le temps puis j’ai commencé à réfléchir aux impacts que ça pouvait amener et voir comment le monde évoluait avec cette nouvelle technologie toujours plus, toujours plus vite.

Journaliste : Je vous emmène aujourd’hui à la rencontre du Docteur Eudes Ménager. Ce médecin neuro-vasculaire, urgentiste de formation est aussi créateur d’entreprises. Expert en santé numérique, conseiller pour start-up, il participe au développement de la e-santé dans un certain nombre de pays africains. C’est un geek passionné de jeux vidéos et de nouvelles technologies à la vie bien remplie mais il n’a pas tous les défauts des accros au numérique puisqu’il consacre une grande partie de son temps à questionner son propre usage des écrans et les impacts de notre dépendance aux réseaux sociaux, de nos relations passionnées aux objets connectés, de notre tendance naturelle à nous laisser submerger par le flot continu d’informations et de sollicitations numériques.

Que doit-on craindre de l’hyperconnexion et de ce temps toujours plus long passé sur les écrans ? Pour s’en préserver, il est indispensable, nous explique Eudes Ménager, de respecter une bonne hygiène numérique. Composante essentielle de notre hygiène de vie et de notre santé.

Bienvenue dans les voix de la Prévention. Aujourd’hui, Eudes Ménager nous parle d’hygiène numérique.

Eudes Ménager : Comment bien vivre avec le numérique, sans se faire déborder ? D’abord il faut prendre le bon côté des choses. C’est un outil d’usage courant, il est utile, on ne va pas aujourd’hui l’affronter, on ne va pas partir en croisade contre le numérique ce serait peine perdue. Mais il peut vous manger. Aujourd’hui quelqu’un qui a son téléphone, s’il l’a oublié quelque part, il devient fou, il est stressé. On a une pensée pour son téléphone. Son téléphone est quasiment une prolongation du bras, de la main. C’est un article du MOI pour certains. On en est là dans la société. Maintenant, comment accompagner ces prolongations de la main pour éviter que ça en devienne une maladie. Parce que parfois ça en devient une maladie de ne plus pouvoir s’en passer.

Guy Birenbaum disait : « Le concept que l’on nous a vendu, la sérendipité, qui consiste à dire qu’Internet est génial puisqu’en cherchant un truc, vous en trouvez un autre, puis un autre. Eh bien je pense que c’est une saloperie car ça nous amène de liens en liens, de clics en clics à des distances phénoménales de ce que l’on cherchait. On reste deux heures sur Internet alors que l’on avait mieux à faire. »

Le cerveau humain aime ce qui est nouveau. Il est curieux. Donc il va vers la nouveauté. Ce d’autant plus qu’elle est facile d’accès. Le cerveau n’aime pas l’isolement, n’aime pas l’habitude. Il aime bien rencontrer, donc échanger. Le cerveau aime le plaisir, la récompense. Il ne peut fonctionner efficacement que si il y trouve un intérêt, y prend du plaisir. Et donc évidemment quand vous avez sur différents mécanismes digitaux des solutions qui répondent à ces besoins primitifs et bien on va toucher beaucoup de monde. Ca a permis d’attirer tout un tas de personnes sur ces réseaux sociaux. Et ce pendant un long moment. Ils vont se rencontrer, ils vont échanger et en même temps on va leur donner de nouvelles choses régulièrement, des nouveaux jouets. Tout ça c’est du neuromarketing, c’est de l’utilisation du marketing à des fins de satisfaction cérébrale.

Ca peut être intéressant, j’y trouve un intérêt soit personnel, soit professionnel. La question c’est pourquoi je vais y rester et pourquoi autant de temps ?

Petit un il y a une problématique d’automatisation. Je perds le plaisir, le plaisir est progressif jusqu’à l’apothéose. Puis après l’apothéose, il y a la retombée. Cette période réfractaire peut rentre dépressif. J’ai rencontré des gens, c’était super et je les ai perdus, j’aimerais bien les retrouver donc je retourne sur mon réseau.

Il y a des mécanismes de frustration dans le plaisir. J’ai été à un niveau de satisfaction, je l’ai perdu, faut que je le retrouve. Parfois on peut rester des heures en mode automatique, où je n’ai plus de plaisir. A la recherche d’une information qui n’est plus, peut être, la bonne information du départ car je me suis perdu. J’ai vu une vidéo qui m’a intéressée, j’ai perdu le fil de mon attention initiale. C’est tout l’effet pervers. C’est qu’au bout d’un moment, on sort du spectre du besoin, on rentre dans l’automatisme et on peut y passer des heures. Et plus il y a d’interactions, plus on me garde. Pourquoi ? Car le cerveau a besoin de stimulations multiples et donc il va chercher la diversité. Et en même temps, la diversité amène à l’éparpillement. J’ai perdu ce que je devais faire ici. Je suis allé voir autre chose et j’ai perdu beaucoup de temps. J’ai perdu l’atlas temporel, c’est-à-dire l’impression que je n’ai pas perdu beaucoup de temps car j’étais focalisé sur pleins de petites choses qui ont pris juste 5 minutes ou 30 secondes. Mais la sommation de ces petites choses fait que j’ai perdu beaucoup de temps.

Journaliste : Dans cette quête du plaisir, on parle d’addiction, on parle de drogues numériques.

Eudes Ménager : Historiquement dans addiction il y a ad comme dans additionner. Ca veut dire qu’il y a un élément supplémentaire qui m’apporte une satisfaction. Historiquement, ce sont les éléments chimiques, des drogues comme la cigarette, mais ce sont des molécules chimiques. Généralement l’addiction c’est ça avec un phénomène de sevrage. Ce phénomène de sevrage n’est pas aussi fort quand il n’y a pas d’élément chimique. Moi je ne parlerais pas d’addiction mais de déviance comportementale. C’est un trouble du comportement puisque c’est simplement une problématique d’usage.

Si vous enlevez un smartphone à un enfant, il ne va pas être content, il va être énervé. On retrouve cette agressivité. Si on lui demande d’aller se calmer, il va se calmer mais il ne va pas faire une crise de sevrage. Les joueurs après deux trois heures de jeu ne prennent plus de plaisir. Ils sont dans l’automatisme et donc dans un mécanisme de frustration / réussite, carotte / bâton. Je vais bientôt réussir, donc laisse moi terminer. Ah non j’ai perdu donc j’en fait une autre. Il n’y a pas de drogues mais il y a une dépendance. La dépendance n’est pas forcément pathologique mais elle peut le devenir.

Journaliste : Ca veut dire un comportement qui nécessite une prise en charge psychologique ?

Eudes Ménager : Psychologique de coaching. Des parents qui donnent un cadre. Se donner des ambitions de consommation, qu’on va réduire. Et on va essayer de faire autre chose à la place.

Gaspard Koenig, philosophe et essayiste disait : « Les meilleurs neuro scientifiques s’emploient à titiller les circuits de récompense de nos cerveaux. Il faut traiter les réseaux sociaux pour ce qu’ils sont : une drogue distribuée gratos à la sortie des écoles. »

Les jeunes ne sont pas prêts à être suffisamment matures pour pouvoir se poser les bonnes questions au bon moment sur un réseau social. Ma propre fille, qui a 16 ans, et pourtant je connais bien les réseaux sociaux, je lui mets des cadres en faisant attention à ne pas casser des relations parce que les adolescents sont très fragiles. Si on leur met trop de cadre, ils vont sauter par la fenêtre.

J’ai été un adolescent, et pas un adolescent très sage donc je connais aussi ce travers. Les conseils aux adolescents c’est compliqué. C’est les plus vulnérables finalement. Ils n’écoutent pas. Ou ils écoutent mais ils n’entendent pas. Et ils ont envie de vivre une expérience. Les réseaux sociaux leurs en offrent trop. Et parfois on ne sait pas où ça va. Il n’y a pas trop de vrai contrôle. Et en même temps le contrôle n’est pas toujours bon car les adolescents n’aiment pas ça.  Donc ce n’est pas facile.

Il y a des écoles qui mettent en place des moments éducatifs avec des psychologues. Qui s’intéressent aux problématiques des écrans, purement écran. Pas forcément le contenu mais déjà dans l’usage ils se rendent compte qu’il y a des déviances et donc ça permet d’ouvrir des discussions. Globalement, il n’y a pas de politique actuelle, à ma connaissance, sur ce sujet. Pas de programme vraiment incitatif, national de l’Education Nationale. Si bien que ceux qui commencent vraiment à s’y mettre aujourd’hui, ce sont les mutuelles justement qui se rendent compte qu’il y a des impacts sur la santé. Je pense qu’il y a un vrai raz-de-marée qui va arriver dans les 15 ans à venir sur l’hyper connexion des enfants. Et comme on n’aime pas anticiper, ou on ne sait pas anticiper, on attend que la vague arrive.

Derek Thomson, journaliste spécialiste des technologies et des médias. A propos d’Instagram : “Pour moi, cela ressemble à de l’alcool. Un lubrifiant social qui peut être délicieux mais aussi déprimant. Une expérience populaire, qui mène euphorie à court terme et regrets à long terme. Un produit qui conduit à un comportement douloureux et addictif chez une minorité importante. Comme l’alcool, les réseaux sociaux semblent offrir un cocktail enivrant de dopamine, de désorientation et pour certains de dépendance. Appelez cela l’alcool de l’attention.”

La première fois qu’on a parlé d’hyper connexion, ça a été dans des congrès de sommeil où on a estimé que depuis 50 ans on a perdu entre 2 et 4 heures, selon les catégories et les âges, de sommeil par jour. Ce qui peut être énorme surtout pour les plus jeunes. On estime que progressivement ce temps est transféré sur les nouvelles technologies. Pas forcément le smartphone mais principalement sur les écrans. Ce temps passé, on le passe moins à dormir donc je grignote peu à peu ma nuit. 

L’hyperconnexion peut être calculée sur cette base de perte de sommeil. On sait que la population française utilise en moyenne à peu près 4 heures de nouvelles technologies par jour. 

L’hyperconnexion grignote sur le temps de sommeil donc on dort moins. On est fatigué, on est moins efficient et on bouge moins. Et plus on bouge, plus on est fatigué. C’est le premier point. 

Deuxième point, quand on est fatigué, le cerveau cherche de l’énergie. L’énergie c’est soit des stimulants. Ca peut être la cigarette, le café, mais souvent c’est le sucre. Donc souvent, ceux qui sont fatigués vont grignoter. Ils vont plutôt aller chercher un gâteau qu’une pomme. Donc le problème c’est que le petit plaisir qui nous réconforte et nous rebooste, c’est du grignotage. Sur les 30 dernières années, il y a 20% de surpoids en plus. C’est non négligeable car ça engendre ensuite d’autres problèmes. Je ne vais pas entrer dans la problématique et les complications du surpoids. 

Guy Birenbaum : “Je n’ai jamais cru qu’on pouvait tomber malade parce que l’on passe trop de temps connecté sur Internet. En 2014 je l’étais de 5h du matin à minuit. Avec les écrans, les réseaux sociaux, les notifications. Plus le boulot, plus des périodes compliquées au travail, plus la violence intrinsèque aux réseaux sociaux. Pour moi, ça a commencé par des signes chimiques. Mal au ventre, mal au dos, etc. Jusqu’à une incapacité totale, un écroulement massif. Je n’arrivais même plus à décrocher quand des amis m’appelaient.”

C’est ce qu’on appelle le multi-tâches. Le cerveau aime bien la sur stimulation pour pouvoir toujours apprendre et se développer. Pour faire une analogie, le cerveau encode des informations mais il va retenir les informations qui ont été bien encodées. Bien encoder une information c’est comme internet, il faut taguer. Donc si vous taguez correctement une information avec tout un tas de mots-clés ou d’évènements, de stimulis et bien vous allez pouvoir le ranger et le retrouver plus facilement. Si vous êtes sur stimulé, vous n’allez pas pouvoir taguer toutes les informations. Plus j’ai d’informations, plus c’est difficile de bien les retenir, de s’y intéresser correctement. Le multi-tâches, ça dissémine donc on ne fait pas tout bien. On ne retient pas tout bien. Et effectivement on se fatigue. Le cerveau n’est pas fait pour faire du multi-tâches. Le cerveau est fait pour résoudre une tâche par une tâche. De pouvoir gérer des sous-tâches. C’est ce qu’on appelle  des distracteurs car en fait, il y a une tâche principale et y a des distracteurs. La question c’est est ce que ce perturbateur qui arrive est essentiel pour finir ma tâche. S’ il ne l’est pas, je l’évacue. Il faut à un moment donné un moment de off pour apaiser le cerveau et réfléchir à toutes les informations que l’on m’a donné. 

Gaspard Koenig : “Rester un livre à la main pendant une heure sans like ni retweet, est devenu pour certains de mes étudiants, une impossibilité physiologique.”

L’hygiène numérique c’est déjà de savoir que je dépasse mon quota de temps en dehors de la vraie vie. Ça fait partie de l’hygiène de vie, l’hygiène numérique donc l’hygiène de vie ce n’est pas de rester devant un écran toute la journée à moitié bossu. J’ai mal au cou à la fin de la journée. J’ai la tête qui explose. Ce n’est pas la vraie vie et faut essayer de sortir de ce schéma. L’objectif étant de faire le bon diagnostic. Combien de temps je passe devant mes écrans ou à regarder ma montre connectée, passer tant de temps au téléphone, etc. Faut se dire, là c’est trop. 

Je suis le premier à comprendre ces problématiques car je les ai moi-même longtemps analysées sur mes propres travers étant un connecté de la première heure, un hyperconnecté de la première heure. L’objectif étant déjà de savoir où j’en suis. Le temps est un élément clé dans l’hygiène numérique donc il faut se cadrer. Personne n’aime l’ennui. Hors l’ennui c’est important. Il permet de réfléchir, de se projeter et de se poser les bonnes questions sur : Qu’est ce que je fais là ?  Qu’est ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je ne fais pas ?  Qu’est ce que je fais mal ? L’Homme doit contrôler la technologie et la technologie ne doit pas asservir l’Homme. 

In fine, il faut se donner des règles. Il faut être carré dans l’utilisation du numérique pour ne pas se faire grignoter.

Journaliste : Merci de nous avoir accompagné dans cet épisode “Les voix de la prévention” enregistré avec Eudes Ménager en décembre 2021. Ce podcast est proposé par Apivia Prévention et Ethnomedia.

Auteur : Jean-Christophe Moine avec Séverine Roly à la prise de son et David Trecos au mixage. 

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Crédits

Interviews, décryptages d’études médicales et scientifiques, questions d’actualité, témoignages et conseils, dans Les voix de la prévention, les acteurs de la santé nous expliquent les enjeux de la prévention.

Podcast : © Apivia Prévention & Ethnomedia
Auteur : Jean-Christophe Moine
Son : Séverine Roly
Mixage : David Trecos