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Notre reportage au Centre de Formation d’Apprentis de Lagord, avec les élèves infirmiers de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers et Aide Soignant de La Rochelle. L’auteur de l’article, Anne-Laure Jaumouillié, est professeur de lettres-histoire-géographie dans ce CFA.
Quentin, 16 ans, a du mal à gérer son manque de sommeil. Apprenti boulanger, il est en entreprise deux semaines sur trois où il est confronté aux mêmes horaires décalés que ses collègues adultes.
Ibrahima est mineur isolé. Ses ressources sont limitées et ses repas pas toujours équilibrés.
Baptiste, comme tous ses amis, sort, boit de l’alcool, fume…
Tous ces jeunes sont apprentis au Centre de Formation d’Apprentis (CFA) de Lagord, organisme de formation par alternance rattaché à la Chambre des Métiers et de l’Artisanat (CMA) de Charente-Maritime.
En tant qu’apprentis, ils sont salariés. Des travailleurs donc, mais avec la particularité de la jeunesse, de ses interrogations et de ses difficultés. Il faut apprendre un métier, gérer son budget, respecter des horaires de boulot, assister aux cours pour préparer son diplôme, et en même temps vivre sa jeunesse : faire la fête, tomber amoureux, tester ses limites… La sécurité, la prévention, sont des notions souvent un peu contraignantes. L’équilibre est parfois difficile à trouver…
Une éducation à la prévention inscrite dans les programmes
C’est le CFA qui est chargé de les préparer aux examens, en lien permanent avec les maîtres d’apprentissage en entreprise : la combinaison apprenti-maître d’apprentissage-CFA est précieuse. Elle permet l’intégration des jeunes dans le monde professionnel en les aidant à se doter de tous les outils nécessaires (savoir-faire pratiques et théoriques bien sûr, mais également connaissances du monde professionnel, de son fonctionnement, voire de ses pièges).
Pour y parvenir, une matière est systématiquement intégrée aux programmes de CAP et de bac Pro : la PSE (Prévention Santé Environnement). A raison de deux heures par semaine, les enseignants ont pour objectif de former des “acteurs de prévention individuelle et collective”. Au programme, l’acquisition des connaissances essentielles dans le domaine de la prévention, de la santé et de l’environnement, l’éducation à des comportements responsables vis à vis de sa santé et de son environnement, et ceci dans le cadre du respect de soi et des autres, muni d’une culture scientifique et technologique visant à développer l’esprit critique, ainsi que d’une capacité d’analyse et de résolution de problèmes (Extrait du BOEN n°30 du 23 Juillet 2009).
C’est avec ce bagage que les jeunes doivent apprendre à concilier rythmes biologiques et rythmes de travail, adapter leur alimentation à leurs activités, prévenir les conduites addictives, les IST, les grossesses non désirées, mais aussi à gérer leur budget, utiliser les systèmes de protection et de défense du consommateur, s’approprier le cadre réglementaire du milieu professionnel, etc. …
Une matière indispensable donc. D’autant plus que les chiffres liés à la santé professionnelle dans l’artisanat sont alarmants (pdf) : en 2017, 52 % des artisans du BTP déclaraient souffrir de fatigue importante et de troubles du sommeil, 39 % se déclaraient en mauvaise santé.
Risques sanitaires liés au travail, conjugués aux risques parfois pris par les jeunes, le cocktail peut être explosif.
Les élèves infirmiers formés à la prévention
Aussi, le CFA de Lagord, sous l’égide de la responsable de la prévention Madame Toso, a décidé d’aller plus loin dans sa démarche de prévention et a signé une convention avec l’IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers et Aide Soignant) de La Rochelle. En effet, depuis peu, la formation des élèves infirmiers doit comprendre un service sanitaire, sous la forme d’un stage en « lieu de vie ou de travail ». Ce service sanitaire a pour but de former ces étudiants aux enjeux de la prévention primaire et à la promotion des comportements favorables à la santé.
Une équipe de jeunes infirmiers a donc réalisé son stage au CFA. Après une immersion en décembre dernier de deux semaines au centre de formation (enquêtes auprès des apprentis, entretiens avec des enseignants et la responsable des actions de prévention), ils ont eux-mêmes établi les priorités en matière de prévention santé pour le CFA : les questions relatives au sommeil, à l’alimentation, aux addictions et à la sexualité ont fait l’objet d’un travail particulier de leur part.
En mars dernier, les enseignants étaient donc invités à inscrire et accompagner leurs classes aux ateliers préparés par les élèves infirmiers eux-mêmes. Une classe de boulangers a pu participer à l’atelier consacré au sommeil, des frigoristes ont consacré une après-midi à la question des addictions, une classe de « FLS » (Français Langue Seconde) a pu participer à l’atelier sur l’alimentation et une autre à celui dédié à la sexualité.
La prévention des jeunes par des jeunes
Vidéos, jeux de rôle, débats, « manèges à pénis » (que vous n’aurez pas le privilège de voir dans notre vidéo !)… Les élèves infirmiers ont su créer et utiliser tous types de supports favorisant l’échange et la mise en pratique. Même si les apprentis connaissaient – dans les grandes lignes – les risques liés à telle ou telle pratique, les messages transmis par les élèves infirmiers ont été sans doute plus efficaces que les discours plus institutionnels, en particulier parce qu’ils se faisaient entre jeunes.
Le vocabulaire technique, professionnel employé par les élèves infirmiers et leurs exemples à valeur scientifique éliminent toute approche moralisatrice, tout en valorisant leur contenu. Les échanges sont ainsi plus directs, sans crainte de jugement ni provocation. Ce qui n’est pas toujours le cas quand les apprentis doivent poser des questions d’ordre sexuel à leur prof de PSE ou de sciences appliquées !
Ces ateliers ont également permis aux jeunes apprentis de prendre conscience de la diversité des parcours de leurs collègues. C’est ainsi que lors de l’atelier de prévention sur la sexualité réalisé avec une classe de mineurs isolés, un débat relativement animé est né entre deux jeunes : l’un soutenait que la contraception était non seulement connue mais également parfaitement accessible. L’autre, manifestement vexé, tentait de lui expliquer le contraire : dans certains pays, la contraception est purement interdite, ou elle a une connotation tellement négative, que rares sont les femmes à y avoir accès. C’est le genre de rappel qui ne fait de mal à personne…
Crédits
Vidéo et photos : © Ethnomedia / jcm pour Apivia Prévention