Ci-dessus :
Notre interview de Pascal Champvert, Résidence de l’Abbaye, Sainte-Maur-des-Fosses — Durée : 2:30 minutes
AUTRE ARTICLE DE CE DOSSIER
A la fin des années 60, le gérontologue Robert Butler a créé la notion d’âgisme pour désigner le fait “d’avoir des préjugés ou un comportement discriminatoire envers des personnes ou des groupes en raison de leur âge” (OMS). Comme le racisme et le sexisme, l’âgisme légitime les inégalités entre les groupes.
Un stéréotype est une opinion généralisée qui s’accompagne de jugements souvent réducteurs et erronés. L’âgisme crée une stéréotypisation de personne âgée :“les vieux sont de mauvais conducteurs”,“les vieux ne sont plus dans le coup”, etc. Cette opinion peut aussi être positive :“les vieux sont plus sages”. Mais elle relève aussi d’une généralisation qui n’est pas nécessairement vraie.
Une discrimination est une distinction, une séparation, qui a une connotation péjorative lorsqu’elle concerne une question sociale. L’âgisme est discriminant, c’est-à-dire qu’il exclut les personnes âgées des espaces sociaux, des relations sociales, dans lesquels on estime qu’ils dérangent : par exemple le supermarché et les services publics que les plus vieux ne devraient fréquenter qu’en dehors des horaires des plus jeunes (actifs et travailleurs) !
Agiste, notre société cultive un certain mépris des vieux ; dans les stéréotypes véhiculée par les médias par exemple, mais aussi dans la discrimination à l’embauche, les difficultés d’accès au logement, et dans bien d’autres domaines, comme l’accès au soins.
“Tu n’as pas pris une ride !” ou “tu n’as pas vieilli !” sont des réflexions âgistes sans qu’on en ait vraiment conscience. Même bienveillantes, elles sont dévalorisantes pour les personnes âgées. Ce phénomène complexe de stéréotypisation nous concerne tous, de manière plus ou moins inconsciente. Et il est donc largement partagé, y compris par les personnes âgées. On parle alors d’auto-stéréotypisation, un processus néfaste qui peut impacter directement leurs facultés et leur bien être.
L’âgisme impacte négativement le vieillissement
On sait que les stéréotypes et les préjugés attachés à un groupe social influencent directement le comportement des membres de ce groupe. Par exemple, le stéréotype d’incompétence est souvent intériorisé par les femmes, dès l’enfance, comme l’ont montré les chercheurs d’une étude où des petites filles de 8 ans pensaient être moins compétentes en mathématiques que les garçons, alors qu’aucune différence objective n’existait et que leur réussite aux tests était la même.
De la même manière, des recherches mettent en évidence les effets négatifs des stéréotypes âgistes sur les performances cognitives des personnes âgées. En 2016, trois chercheurs ont fait une revue de la question très intéressante. Même si certains processus cognitifs sont réellement affectés par le vieillissement, expliquent -ils, les stéréotypes âgistes ont eux-mêmes un rôle négatif sur les performances cognitives des personnes âgées. Dans des tests où l’on précise aux participants qu’il s’agit de mesurer la diminution des performances intellectuelles avec l’âge, « la crainte de confirmer ce stéréotype entraîne chez la personne une augmentation de la pression évaluative ». Résultat : la personne testée confirme le stéréotype, c’est-à-dire qu’elle obtient de moins bons résultats dans le test. C’est ce que les auteurs appellent la menace du stéréotype.
L’OMS rappelle que “l’âgisme peut avoir un effet autoproducteur en développant chez les personnes âgées des stéréotypes d’isolement social, d’affaiblissement physique et de déclin cognitif, du manque d’activité physique et de fardeau économique”.
Les données issues des neurosciences cognitives du vieillissement contredisent pourtant l’idée que le vieillissement correspondrait uniquement à un déclin et une accumulation de pertes. Toutes les régions et tous les systèmes fonctionnels du cerveau « ne présentent pas systématiquement d’effets délétères associés à l’avancée en âge ». Au contraire, face aux pertes, le cerveau est capable d’engager des mécanismes compensatoires qui « dénotent sa capacité à faire preuve de plasticité » . En clair, notre cerveau s’adapte tout au long de la vie.
En fait, vieillir c’est plus ralentir que perdre ses capacités, selon le rapport sur Les Enjeux éthiques du vieillissement rendu par le Comité Consultatif National d’Ethique. Ralentissement et déphasage avec le reste de la population, qui entrainent un isolement accepté par les personnes âgées, comme un dénouement normale.
L’âgisme impacte négativement les soins apportés aux personnes âgées
Le Défenseur des droits, institution indépendante de l’État créée en 2011, rappelle que les discriminations liées à l’âge (PDF) « possèdent la caractéristique d’être largement invisibles ou tolérées parce qu’elles sont fortement intériorisées et banalisées ». Elles remettent en cause « l’accès aux droits dans de nombreux domaines, que ce soit l’emploi, le logement, la formation, la santé… ». Oui, la santé.
Une étude, datant de 2012, décrit les manifestations de l’âgisme dans les pratiques de soins aux personnes âgées. Parmi elles, le sous-diagnostique. La dépression, par exemple, est souvent considérée comme un corollaire normal du vieillissement ; comme s’il était inévitable qu’une certaine tristesse apparaisse avec l’âge et ne mérite donc pas d’être traitée.
Selon les auteurs de cette étude, les personnes âgées ne sont plus considérées comme des individus, leur parole et leurs désirs ne sont plus prises en compte, ce qui provoque chez ces dernières « une majoration de leur sentiment d’inutilité et de dépendance ». La boucle est bouclée.
Négligences dans les soins, non-évaluation et non-soulagement des douleurs, infantilisation, isolement, abus psychologiques et physiques sont quelques-unes des conséquences les plus communes mises en évidence par les psychologues d’une étude portant sur la « violence banale » envers les personnes âgées. L’âgisme, cette « représentation sociale de la vieillesse erronée » , selon les termes du psychologue Jean-Jacques Amyot, entraîne ainsi ce que le Comité consultatif national d’éthique appelle une « maltraitance latente ».
Une prise de conscience nécessaire
Si l’OMS rappelle qu’il existe beaucoup d’attitudes négatives, “y compris au sein des établissements de santé et d’aide sociale où les personnes âgées sont le plus vulnérables”, on sait aussi que la situation des Ehpad n’est pas simple : « le manque d’effectifs et de temps, la peur d’être maltraitant avec les résidents, hantent le quotidien des aides-soignantes et des infirmières. Seul l’amour de leur métier les fait tenir », lit-on dans un reportage assez poignant de La Montagne.
De nombreuses études sur les mécanismes d’action de l’âgisme ont paru depuis une dizaine d’année. Elles devraient permettre aux professionnels de santé d’éviter que leurs préjugés n’influencent inconsciemment leurs attitudes et leurs pratiques de soin envers les personnes âgées.
Aujourd’hui, on ne peut s’accommoder ni d’une conception déficitaire des personnes vieillissantes, considérées comme une « masse homogène malade, handicapée et dépressive », ni d’une conception uniquement optimiste, définissant des canons du « bien vieillir » qui imposent l’image d’une personne âgée qui a su rester jeune.
Il s’agit au contraire d’inventer des modèles de soins « qui accompagnent les personnes âgées dans leurs limitations, mais également dans les potentialités qu’elles ont pu préserver, voire acquérir au fil du temps ».
Très complet, l’avis rendu par le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé devrait être consulté par tous : professionnels de la santé, bien sûr, mais aussi aidants, éducateurs, et nous tous, pour nous poser les bonnes questions sur la manière dont nous souhaitons que notre inéluctable vieillesse soit considérée.
Pour finir sur une note people, je ne résiste pas de citer les propos de Madonna, (relayés par 20 Minutes), partie en croisade contre l’âgisme : « Pourquoi seuls les hommes auraient le droit d’être aventureux, sexuels, beaux ou sexy jusqu’au jour de leur mort ? ». Pas sûr que Madonna ait tout compris du concept, comme le rappelle lala43 dans un commentaire :
On trouvera une meilleure porte-parole en Winona Ryder, l’actrice déclarant aimer vieillir et préférer « que notre société puisse célébrer le fait de vieillir ».
POUR ALLER PLUS LOIN
• Le Centre d’Information et de Formation des Services à la Personne (CIF-SP) propose un test en ligne : Auriez vous tendance à faire de l’âgisme ?
Jouez le jeu, essayez de répondre le plus spontanément possible !
• Observatoire de l’âgisme : agisme.fr
• A écouter, sur France Inter, Régis Aubry et Sarah Thomas : « Il y a une forme de ségrégation vis-à-vis de l’âge dans notre société ».
• L’AD-PA s’associe à la campagne engagée par la plate-forme européenne AGE. Cette campagne « Égaux à tout âge » débute le 1er octobre 2018, Journée internationale des personnes âgées, et se déroulera pendant 10 semaines jusqu’au 70ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme le 10 décembre 2018.
• A lire, le n° 123 de Gérontologie et société, “Nouvelles problématiques du vieillissement” (2007). Un peu ancien mais un état des lieux passionnant.
• La lutte contre l’âgisme se joue dès l’enfance. L’âgisme est une forme de discrimination envers nos aînés, basée sur des préjugés les considérant comme uniformément diminués sur le plan mental et physique. Selon des chercheurs belges, ces discriminations seraient présentes dès l’enfance, mais des relations épanouies avec ses grands-parents permettraient de les atténuer.
Crédits
Vidéo et photo : © Ethnomedia / jcm pour Apivia Prévention
Merci à Kate pour la reproduction gracieuse de deux illustrations sur l’âgisme