Un assouplissement du Code du travail permet, depuis deux ans, une expérimentation inédite : un seul et même professionnel est autorisé à intervenir auprès d’une personne aidée de manière continue, pendant 6 jours consécutifs, pour relayer les aidants familiaux qui souhaiteraient souffler.

Alors qu’en France le droit au répit des proches aidants est consacré par la loi depuis 2016 et que 74 % des aidants en expriment le besoin, des freins légaux en limitent le déploiement. Exemple concret : comment faire remplacer par un professionnel, 24 heures sur 24, à domicile, un aidant qui a besoin de se ressourcer quelques jours, lorsque le droit interdit de travailler plus de 13 heures consécutives par jour ? Une solution est de modifier le droit. C’est ce qui est expérimenté depuis le 10 mai 2019, grâce à un dispositif dérogatoire de suppléance de l’aidant à domicile, précisé dans un décret largement inspiré du rapport (PDF) de Joëlle Huillier, députée de l’Isère. L’objectif : « bien mesurer les bénéfices et impacts de la dérogation au droit du travail sur les aidants, les personnes aidées et les salariés concernés ». Concrètement, ce dispositif expérimental, proche de celui connu au Québec sous le nom de « baluchonnage » depuis plus de 20 ans, a fait l’objet d’un appel à candidatures national lancé en janvier 2019 par la Direction générale de la cohésion sociale, la Direction générale du travail et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Il permet l’intervention d’un seul professionnel à domicile pendant 6 jours consécutifs maximum, plutôt que de plusieurs qui se succèdent toutes les 8 ou 12 heures.

— Le baluchonnage —

Pour rappel, le baluchonnage est né au Québec, où fut mis en place, dès la fin des années 90, une solution de repos pour les aidants familiaux s’occupant de proches dépendants. Ce répit de quelques jours permet à l’aidant de partir se reposer et se ressourcer relayé 24 heures sur 24 par un professionnel de l’aide qui vient avec son baluchon au domicile de l’aidé (le « baluchonneur »). C’est la notion de relais, de « relayage » et « relayeur » qui est employée en France, car les termes baluchon, baluchonnage et baluchonneur supposent l’adhésion à une convention d’affiliation à la marque déposée Baluchon d’Alzheimer®.

L’exemple d’AUXI’life

Parmi les 51 candidats sélectionnés pour mener l’expérimentation, AUXI’life a conçu une solution de répit pour les proches aidants de courte ou de longue durée : REPI’life.
Son directeur exploitation, innovation et qualité, Yoan Guillemin, nous explique que les auxiliaires de répit, ont tous et toutes été formés par l’association Baluchon France. Ces auxiliaires sont spécialisés dans la prise en charge de certaines pathologies (Alzheimer, handicap, autisme…) de manière à répondre au mieux aux besoins des aidés : « l’intervention se fait en trois temps. Le premier temps est celui de la prise de contact, de l’évaluation de la situation et de la planification de l’intervention. Le deuxième, celui de l’intervention. Le troisième est un temps d’analyse et de restitution de l’expérience de l’intervenant à l’aidant, ainsi qu’un retour de l’aidant sur son expérience de répit, et, si possible, un retour de l’aidé sur son expérience avec l’intervenant ». Participer à cette expérimentation est, pour Yoann Guillemin, l’occasion rêvée de montrer les bienfaits pour un aidant de pouvoir s’oxygéner psychologiquement en étant relayé. D’envisager aussi les bienfaits sur l’aidé, à qui l’on offre la possibilité de rester chez lui. De rendre évidente l’efficacité organisationnelle et fonctionnelle d’un tel service. Et, enfin, d’évaluer les bénéfices pour les intervenants. Yoann Guillemin en voit au moins deux : les auxiliaires de répit bénéficient d’une formation aux spécificités d’accompagnement du baluchonnage québécois par Baluchon France, et ils travaillent sur un laps de temps plus condensé, ce qui réduit leurs déplacements et permet de gérer différemment leurs rythmes de vie. Un avis nuancé par certains syndicats estimant, à l’annonce du projet, que 6 jours de travail consécutifs pourraient avoir des conséquences sur la santé des salariés, et que cette expérimentation pourrait préfigurer la généralisation des dérogations à la législation du travail. L’objectif annoncé de l’expérimentation de pouvoir mesurer les bénéfices et impacts du dispositif sur les salariés semble cependant rassurant.

— REPI’life —

REPI’life est déployé au sein des trois agences AUXI’life retenues pour cette expérimentation : à Paris (75), en Seine Saint Denis (93) et dans le Val d’Oise (95).

Le principal frein, au moment du lancement de REPI’life, fut le financement de la prestation elle-même, soit 720 euros la journée de 24 heures, ce tarif incluant aussi l’organisation en amont de la prestation, et la phase post-relayage. Au lancement de cette expérimentation, raconte Yoann Guillemin, « nous avons sollicité la Macif, dont la dotation nous permet de mettre en place des jours de relayage, après identification et évaluation des situations prioritaires ». La Macif est engagée depuis de nombreuses années auprès des aidants et avait porté une des toutes premières expérimentations de baluchonnage en 2012, en Isère.

Démontrer l’utilité du relayage

Pour Sabrina Ripert, administratrice d’Apivia Macif Mutuelle, et vice-présidente de l’Observatoire des Aidants, cette expérimentation permettra de mieux appréhender le recours réel au relayage, les modalités pratiques de sa mise en œuvre, les aspects de recrutement, de formation et d’encadrement du personnel. Elle apportera aussi des données sur le coût de ce type d’intervention afin d’élaborer un modèle économique, ce qui est essentiel pour envisager de proposer cette solution aux adhérents de la mutuelle : « nous croyons fortement à cette solution de répit, tout en étant bien conscients qu’elle doit être possible avec un minimum de reste à charge pour être accessible ». Une condition nécessaire est que ce service soit rendu possible par les pouvoirs publics, continue Sabrina Ripert : « nous espérons, comme l’ensemble des acteurs participant à l’expérimentation, démontrer l’utilité de ce service et obtenir des pouvoirs publics qu’ils éditent les dispositions législatives et réglementaires adaptées afin de rendre ce service possible, notamment en levant les contraintes de droit du travail ». Les organismes complémentaires pourraient alors intervenir pour limiter le reste à charge de leurs adhérents.

Parmi les nombreuses solutions de répit qui se développent en France, un service de relayage de qualité à domicile est une des solutions effectives pour permettre aux aidants d’accéder à des périodes de répit, condition essentielle de préservation de leur santé, mais aussi d’une relation aidant-aidé harmonieuse. Encore faudra-t-il que ces « prestations de suppléance » aient suffisamment de succès, donnent la garantie d’un personnel formé (mais aussi dont les droits seront respectés), et soient accessibles à tous. Autant d’enjeux essentiels d’une expérimentation aux dimensions politiques et sociales, autant que sanitaire.

Crédits

Photo : © Ketut Subiyanto