Autrefois, le malade d’une cirrhose du foie était immédiatement catalogué. Alcoolique. On pouvait le plaindre, mais on pensait tout bas qu’il l’avait bien cherché. Aujourd’hui, si la consommation excessive et prolongée d’alcool reste la première cause de développement d’une cirrhose du foie en Europe, on en connait d’autres, comme les hépatites chroniques virales (B et C), l’hémochromatose ou, plus récemment documentée, la NASH, ou stéatohépatite non alcoolique, une maladie décrite pour la première fois en 1980 par Ludwig et Boon. La NASH ressemble beaucoup à l’atteinte alcoolique du foie et pourtant il n’y a aucune consommation d’alcool, mais une sérieuse malbouffe. Vous l’aurez compris : on peut avoir une cirrhose du foie sans boire une goutte d’alcool ! La NASH (stéatohépatite non-alcoolique) est la forme inflammatoire du foie gras, appelée stéatose non-alcoolique par les médecins, et dont le premier stade est tout simplement un excès de graisse dans le foie, ce que l’on appelle une stéatose hépatique simple.

— NASH vs ASH —

Le nom de cette “nouvelle” maladie, NASH, est née un peu artificiellement en s’opposant à la stéatose alcoolique (ASH), dont elle partage la même histologie (description des tissus biologiques). Il s’agissait, en créant ce nouveau concept, de bien différencier les atteintes du foie identiques à celles provoquées par l’alcool, mais en l’absence de consommation d’alcool. Comme le rappelle certains médecins, “la distinction entre stéatose hépatique non alcoolique et stéatose hépatique alcoolique est arbitraire. Mise à part la quantité absolue ­d’alcool consommée quotidiennement (≥30 g pour les hommes ; ≥20 g pour les femmes), le type de boisson alcoolisée, le comportement en matière de consommation d’alcool, la durée d’exposition et les différences individuelles d’origine génétique au niveau du métabolisme de l’alcool jouent également un rôle dans la pathogenèse de la forme alcoolique. Qui plus est, de nouveaux résultats d’études ont révélé que les mêmes facteurs génétiques pourraient être impliqués dans les stéatoses hépatiques non alcooliques et alcooliques” (source : Forum médical suisse). Bien souvent, les populations et la prise en charge médicale sont très différentes… Sauf au stade de cirrhose où, dans les deux cas, seule une transplantation est salutaire !

La stéatose

A ce stade, le foie stocke les graisses en excès. Pendant des années, voire des dizaines d’années. Dans le cas de la stéatose non-alcoolique, cela concernerait environ 25% des hommes et 10% des femmes en France (contre 30% de la population aux Etats-Unis). On connait cette maladie depuis longtemps et l’on sait qu’une bonne hygiène de vie permet de la faire régresser.

—Définition —

« La stéatose est un mécanisme de protection de l’organisme, permettant de stocker des acides gras dans des gouttelettes lipidiques, sous forme de triglycérides. Mais le foie finit par être débordé par ce phénomène qui induit des stress cellulaires. Différents mécanismes conduisent alors à l’activation du système immunitaire. Une fois ce stade atteint (stéatohépatite), la pathologie devient évolutive”. Source : INSERM

Si vous n’êtes pas un adepte de l’activité physique et de l’alimentation saine, sachez qu’à l’heure actuelle l’évolution d’une stéatose simple est le plus souvent bénigne. Seules 5 à 10% des stéatoses non-alcooliques glissent vers une forme plus sévère, la NASH. Rassurant ? Oui et non, car nos styles de vie, notre alimentation, notre sédentarité évoluant rapidement, il se pourrait bien que ces foies gras dégénèrent plus souvent qu’auparavant, en fonction de complications métaboliques qui se multiplient et empirent (diabète, obésité) et influencent l’évolution de la maladie. Et 10% de complications, cela fait quand même environ 2 millions de personnes concernées par une maladie qui peut conduire à la cirrhose et au cancer. Bien que les chiffres soient encore sujets à polémiques, il semble évident pour le docteur Lannes (voir notre vidéo) que “l’obésité, le diabète et la NASH, dont la malbouffe et la sédentarité font le lit, seront bien une lame de fond qui remplacera ou aggravera progressivement les maladies infectieuses dans le monde” (commentaire d’un article polémique du docteur Dupagne, mettant en doute sur son blog la possibilité d’une épidémie de NASH en France). Personnes en surpoids, obèses et diabétiques sont en première ligne, mais depuis quelques années, les enfants et les adolescents sont aussi touchés.

NASH - Dominique Lannes

— Feuilleter le livre —

Vous pouvez lire des extraits de NASH. La maladie de la malbouffe, de Dominique Lannes et Catherine Siguret, sur le site de Flammarion.

De la stéatohépatite à la cirrhose

La stéatohépatite est une inflammation du foie stéatosique que l’on a négligée et laisser envahir par de plus en plus de graisse. Que ce soit dans sa forme alcoolique (ASH) ou non-alcoolique (NASH), l’inflammation provoque progressivement la fabrication de tissus cicatriciels qui conduisent à une fibrose du foie. Les fibres, de plus en plus nombreuses, finissent par modifier la structure du foie, le durcissent, jusqu’au stade de la cirrhose et à la perte des fonctions de l’organe. Contrairement aux autres stades, la cirrhose est une maladie irréversible, la régénération des cellules hépatiques se fait de manière anarchique, sous forme de nodules, d’où un risque accru de cancer. Dans un article récent (95 Degrés, N°16, septembre 2018), le docteur Lannes estime à mille par an le nombre de personnes qui pourraient décéder d’un cancer du foie dû à la NASH. Pour rappel, le cancer du foie touche plus de 8 000 nouvelles personnes par an en France, dont une grande majorité d’hommes.

Alcooliques ou non-alcooliques, les deux types de maladies stéatosiques “ont la même définition histologique”. Autrement dit, l’examen des tissus hépatiques ne permet pas de distinguer la NASH de la ASH, et aucun examen diagnostique ne permet aujourd’hui de distinguer avec certitude une atteinte hépatique alcoolique d’une atteinte hépatique non alcoolique. Seul l’interrogatoire du patient permet d’exclure l’abus d’alcool.

La généralisation de la biopsie hépatique à l’échelle d’une population étant impossible, et les patients souffrant de NASH ne développant souvent aucun symptôme, le diagnostic n’est pas simple. Mais une fatigue, une sensation de malaise, une gène abdominale, seront autant de signes utiles au diagnostic, surtout pour des patients qui présentent des facteurs de risque importants : obésité, diabète de type 2, apnées du sommeil, concentration trop forte de ferritine. Saignements digestifs, jaunisse et coma sont, quant à eux, les signes qu’il faut agir vite.

Le site de l’assurance maladie consacre plusieurs pages bien documentées sur la stéatose hépatique et la stéatohépatite non alcooliques. On y trouve, en particulier, une description des outils permettant au médecin de diagnostiquer ces maladies, et on y apprend qu’aucun traitement n’existe. Pour lutter contre une stéatose non-alcoolique ou ralentir la progression d’un début de NASH, seules sont efficaces la perte de poids et la lutte contre la sédentarité, ce qui passe par des changements d’habitudes alimentaires et l’activité physique. Evidemment, cette adaptation du style de vie est accompagnée du traitement médicamenteux des patients atteints de diabète de type 2, d’hypertension artérielle et d’anomalies lipidiques.

“Ne confondons pas la célèbre repousse du foie avec celle des cheveux ou des ongles. Ou encore avec la queue du lézard”, écrit Dominique Lannes dans son livre très pédagogique : NASH, la maladie de la malbouffe. Après l’avoir lu, et nous vous conseillons de le faire, on ne peut plus regarder son assiette de la même manière et l’on se dit qu’il est grand temps de ne plus prendre les alertes innombrables sur les méfaits des plats cuisinés, gras et sucrés à outrance, à la légère. Le film « L’aile ou la cuisse », né d’une conversation sur la malbouffe entre Claude Zidi et des amis (Ciné-Live, n°48), nous a bien fait marrer dans les années 70. Quarante ans plus tard, l’industrie agro-alimentaire nous fait moins rire. On sait aujourd’hui que les aliments ultra-transformés font courir des risques de santé importants, et pas seulement des éruptions cutanées !

POUR ALLER PLUS LOIN

• Pour rédiger cet article, je me suis servi du livre de Dominique Lannes et Catherine Siguret, ainsi que des sources suivantes :
Stéatohépatite alcoolique : nouveautés 2012 (N. Goossens, S. Ditisheim, N. Lanthier, L. Spahr, An. Hadengue, Revue médicale suisse),
Aspects génétiques des stéatoses hépatiques non alcooliques (Hansjakob Müllera et Rémy Meier, Swiss Médical Forum),
Définition et causes de la stéatose hépatique et de la stéato-hépatite non alcooliques (ameli.fr),
Stéatopathie métabolique : définition et histoire naturelle (M. Lemoine, Elsevier Masson),
Stéatohépatites alcooliques et non alcooliques : la même maladie ! (L. Spahr, L. Rubbia-Brandt et A. Hadengue, Revue médicale suisse).

Crédits

Vidéo : © Ethnomedia / jcm pour Apivia Prévention
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