A moindre coût, la technique permet désormais de dépister certaines maladies, parfois plusieurs décennies avant leur apparition. Est-ce un bien, est-ce un mal, le débat éthique est profond.
Boule de cristal, tarot ou lignes de la main… de tout temps, l’homme a voulu connaître son destin. Savoir avant que le mal ne survienne de quoi l’on pourrait souffrir, deviner quand et comment l’on va mourir… En matière de santé, les progrès de la génétique en ont presque fait une réalité. On appelle cela la médecine prédictive.
Par l’examen du patrimoine génétique d’un individu, il est aujourd’hui possible de détecter la prédisposition à quelque 1500 affections plus ou moins graves. Dans certains cas, par exemple ceux du diabète, de l’obésité ou des pathologies cardiovasculaires, ce peut être une aubaine, la médecine préventive prenant le relais pour aider le patient à éviter l’écueil. Dans d’autres, cela se résume à la chronique d’une mort annoncée.
Comment vivre sa vie, dans quel état d’esprit, lorsque l’on apprend que l’on succombera au terme d’une déchéance intellectuelle et physique précoce, comme dans le cas de la chorée de Huntington ? Cette maladie neurodégénérative qui se révèle vers la quarantaine fauche ses victimes en quinze ans. Est-ce bien nécessaire d’en être informé très en amont, sachant qu’il n’existe aucun traitement ?… Peut-être pas. Ou peut-être que si, quand le sujet à risque a un projet de procréation, sachant que le porteur d’une certaine mutation génétique a la certitude de développer cette maladie et de la transmettre à ses enfants dans 50% des cas.
Vu la capacité actuelle à séquencer l’ADN d’un fœtus pour détecter telle ou telle maladie héréditaire dès les premiers mois de la grossesse, vu celle de dépister une anomalie dès le stade embryonnaire dans le cadre d’une fécondation in vitro, afin d’implanter un embryon que l’on sait sain, on comprend bien que la médecine prédictive puisse être perçue comme une bénédiction. Mais toutes les maladies ne sont pas aussi lourdes que celle d’Huntington. Qui plus est, dans le cas notamment des cancers où la recherche progresse à grands pas, rien ne dit qu’entre le moment de la détection, a fortiori prénatale, et celui du développement de la maladie, un nouveau traitement n’aura pas changé la donne.
Prévention n’est pas toujours raison
Prenons l’exemple médiatique d’Angelina Jolie, qui, se sachant porteuse de mutations génétiques l’exposant à un risque de cancer du sein, a fait le choix d’une double mastectomie à titre préventif. Depuis, le marché des tests tels que celui qui a mené l’actrice à ce choix s’envole. Mais est-ce bien raisonnable ? Fallait-il mutiler cette poitrine ? On ne saurait le dire, puisqu’on ne saurait dire si, à terme, elle aurait développé la maladie. Pour bon nombre de pathologies, une prédisposition génétique est en cause, certes, mais le déclenchement du mal dépend de multiples facteurs, à commencer par l’hygiène de vie et l’environnement.
Le débat éthique est intense. En France, les tests de dépistages génétiques ne sont proposés au patient que dans un cadre bien précis, sous le contrôle et avec l’accompagnement d’un médecin, pour une maladie donnée à laquelle son hérédité l’expose. Chacun est libre de procéder à l’examen ou pas et, jusqu’à la dernière minute, peut faire le choix de ne pas être informé du résultat. En revanche, s’il donne son consentement et apprend qu’il est porteur d’une maladie génétique, la loi bioéthique lui impose d’en informer sa parentèle, autrement dit ses proches potentiellement exposés au problème.
Aux Etats-Unis, pour quelques centaines d’euros, il est désormais possible de faire séquencer l’intégralité de son ADN en quête d’anicroches. De plus en plus de sociétés proposent ce type de check-up génétique complet sur Internet. Sachez que leurs prestations n’ont guère de valeur scientifique, que les résultats qui en découlent ne servent pour ainsi dire à rien, hormis inquiéter le client inutilement. Sachez aussi que recourir à ces services est interdit en France, la loi prévoyant une amende de 1500 euros et jusqu’à un an d’emprisonnement.
Outre les risques que ces tests débridés font courir aux personnes, par des annonces mortifères dénuées de toute interprétation et donc de tout sens, il faut noter que leur généralisation exposerait à d’importants risques sociaux ; l’eugénisme bien sûr et, plus largement, une certaine forme de sélection par les gènes. Imaginez qu’un jour les assurances, banques ou encore les employeurs exigent un échantillon d’ADN avant de proposer un contrat…
POUR ALLER PLUS LOIN
• « Les clés de la génétique pour tous », le guide grand public édité par l’Agence de Biomédecine
• Les conférences des professeurs Axel Kahn et Israël Nisand sur la thématique « Argent, santé, éthique » filmées lors du Forum européen de bioéthique
Et une retranscription de l’intervention d’I. Nisand sur rue89strasbourg.com
• Un débat dont le généticien Axel Kahn expliquait déjà les tenants et aboutissants il y a vingt ans
• Interview de l’un des pionniers du séquençage ADN « low-cost »
• Des progrès à attendre de la génétique dans la lutte contre le cancer
• Vidéo : 1h30 de débat sur la médecine prédictive organisé en septembre 2015 par le journal Le Monde (peut aussi être visionnée sur leur chaîne Dailymotion)
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Photo : © Le Point