Il y a un an encore, se procurer des médicaments en ligne tenait d’une dangereuse hérésie. Ce n’est plus le cas depuis que la loi autorise les pharmaciens à vendre les produits de « médication officinale » sur Internet.
Du matériel audiovisuel aux produits culturels, des vêtements aux aliments, la simplicité, le confort, la rentabilité des achats sur Internet ont imposé ce mode de consommation dans presque tous les domaines à l’exception notable des médicaments. C’est particulièrement vrai en France, où, aussi bien l’Etat que les pharmaciens, farouches défenseurs de leur pré carré, étaient réticents à l’idée de légaliser la vente de médicaments en ligne. Il y avait cependant urgence à organiser ce marché, justement pour bien distinguer les authentiques apothicaires des empoisonneurs. Ces derniers bien sûr n’ont pas attendu la mise en place d’un cadre réglementaire pour inonder Internet de médicaments contrefaits ou frelatés, notamment censés traiter les dysfonctionnements érectiles de Monsieur ou aider Madame à maigrir. Qu’on se le dise : d’après les dernières estimations de l’Organisation mondiale de la santé, plus d’un médicament sur deux vendu en ligne est un faux.
L’automédication n’est pas nécessairement une maladie
Pour des raisons économiques, partout dans le monde, on pousse à l’automédication pour traiter les affections bénignes, afin de ne pas encombrer les salles d’attente des médecins et d’épargner à la collectivité le coût d’une consultation quand il s’agit à l’évidence de trois fois rien. La France ne fait pas exception. Ainsi, les pharmaciens sont autorisés à proposer quelque 450 médicaments en « accès direct » dans leur boutique, au même titre que les brosses à dents ou les cosmétiques. On parle de médicaments « devant le comptoir » ou médicaments OTC (de l’anglais « Over the Counter »). Ces produits non-remboursables peuvent être vendus sans ordonnance, mais uniquement en officine, au grand dam de Michel-Edouard*.
* : Michel-Edouard Leclerc
Maux de tête, gorge enflammée, petites affections cutanées, troubles intestinaux passagers… La liste des indications concernées est assez fermée. Quels que soient les enjeux budgétaires, les pouvoirs publics ont aussi, bien évidemment, des préoccupations sanitaires et sont attachés au respect du « parcours de soins ». De là l’idée que, même lors de l’achat sans ordonnance d’un médicament apparemment anodin, typiquement aspirine, paracétamol ou ibuprofène, il est bon qu’un professionnel de santé veille au grain. Il s’agit qu’il puisse confirmer que le traitement est adapté à la situation, vérifier qu’il n’y a pas de contre-indication ou de risque d’interaction, rappeler la posologie au client ou le cas échéant le renvoyer vers un médecin… En somme, le métier du pharmacien.
Un prolongement de l’officine, pas un supermarché
C’est dans cet esprit que le Législateur a transposé l’an dernier en droit français une directive européenne sur le commerce de médicaments. Dans certains pays de l’Union, la vente en ligne de médicaments sur ordonnance est permise. Rien de tel en France, où l’autorisation devait se limiter à la liste des 455 produits de « médication officinale » arrêtée par l’Agence nationale de sécurité du médicament. Depuis, une décision du Conseil d’Etat a élargi le champ à l’ensemble des médicaments non soumis à prescription obligatoire, soit près de 4.000 produits en « vente libre ». Le cadre réglementaire n’en reste pas moins strict. Seul un pharmacien enregistré auprès de l’Ordre a le droit d’ouvrir une boutique en ligne, non sans un agrément spécifique de son Agence régionale de santé.
Notez qu’il n’est pas question de voir apparaître des Amazon du médicament, des cyberpharmaciens dont ce serait l’unique activité. En effet, une pharmacie en ligne doit impérativement être adossée à une officine et les produits vendus par correspondance doivent sortir du même stock que cette boutique physique. Eventuellement, le prix peut varier. En revanche, pas plus sur Internet qu’en pharmacie, les médicaments ne peuvent faire l’objet de promotion ou de toute pratique commerciale incitant à la consommation. En clair, le docteur en pharmacie qui décide d’étendre son commerce sur Internet reste soumis aux règles et devoirs de sa profession, à commencer par celui d’information et de conseil. Sur Internet, cela passe au minimum par un questionnaire préalable à la commande. Si ce n’est pas le cas chez votre e-pharmacien, changez de crémerie.
Un intérêt évident pour les consommateurs, beaucoup moins pour les pharmaciens
Le site de l’Ordre national des pharmaciens publie la liste des officines autorisées à vendre sur Internet. Il est impératif de s’y référer. A ce jour, moins de 200 pharmaciens y figurent contre plus de 20 000 en activité en France. C’est vous dire leurs réticences. Et pourtant, il y a certainement un marché. Pour des raisons culturelles, les Français, ces Latins, sont certes très attachés au contact humain en matière de santé, mais dans bien des cas, la VPC pourrait leur faciliter la vie. Exemples évidents : les personnes à mobilité réduite, celles qui vivent à des kilomètres de la première pharmacie, celles qui ne supportent pas le pharmacien du village, ou plus prosaïquement, les gens qui voudraient faire des économies. En quelques clics, il n’est en effet pas exclu de dénicher à l’autre bout de la France son tube d’aspirine ou de vitamine C habituel à moitié prix, frais de livraison compris.
Pour toutes ces raisons, dès lors que le site d’une pharmacie présente les garanties requises (le nom du pharmacien, l’adresse de la pharmacie, un numéro de téléphone qu’il ne faut pas hésiter à composer, les liens vers les administrations compétentes et bientôt un logo obligatoire…), il n’y a pas de raison de se méfier. A contrario, et nous y reviendrons dans un prochain article, n’achetez surtout pas de médicaments sur Internet ailleurs que sur ces sites de pharmaciens, hormis peut-être sur celui d’un pharmacien d’un autre pays de l’Union européenne. Notez cependant que tous ne livrent pas en France, que le bénéfice financier est incertain, que le nom des médicaments n’est pas universel et que la notice ne sera pas souvent traduite. Notez aussi que chaque pharmacie en ligne de l’UE est tenue de respecter les lois en vigueur dans le pays où réside le client. En théorie, il ne pourra donc pas vous vendre de médicaments sur ordonnance ou de produits non autorisés en France.
POUR ALLER PLUS LOIN
• La liste des pharmacies autorisées à vendre en ligne
• La liste des 455 médicaments autorisés en accès direct
• La décision du Conseil d’Etat qui élargit à tous les médicaments sans ordonnance
• Le texte de loi
• Une étude comparative des prix entre France et Allemagne (PDF)
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