Ils ne remplacent pas les médecins, mais forts de leur expérience de la maladie et d’une formation adéquate, les patients-experts sont des personnes ressources pour les autres malades et les soignants. Ils participent, par divers moyens, à améliorer les soins et font avancer la démocratie sanitaire.
Plus de médicaments et de technologies, moins de paroles… Depuis un siècle, la médecine a fait énormément de progrès et remporté de nombreuses victoires. Mais au prix d’une place de plus en plus réduite accordée à la parole, celle du patient comme celle du médecin. Avec, comme dégât collatéral, des patients qui ne comprennent pas toujours bien leur prise en charge et ne suivent pas correctement leur traitement. C’est dans ce contexte que, depuis quelques années, émergent les patients-experts : des lois les font exister, des formations sont créées, des missions leurs sont confiées. Si la dénomination d’ « expert » associée au mot « patient » peut surprendre, elle pourrait bien, en réalité, être l’un des socles de la future démocratie sanitaire.
Qu’est-ce qu’un patient-expert ?
Un patient-expert est un malade, ou ancien malade, qui a acquis une telle expérience de sa pathologie, des soins et du vécu au quotidien, qu’il peut aider d’autres malades, mais aussi le personnel soignant, à une meilleure prise en charge. Le patient-expert ne remplace pas le médecin, mais il favorise le dialogue entre soignants et patients, et libère la parole des autres malades.
En France, environ 15 millions de personnes vivent avec au moins une maladie chronique (asthme, diabète, obésité, infection par le VIH, maladie cardiovasculaire…). Tous cancers confondus, on constate que près de 70% des patients sont toujours en vie 5 ans après la découverte de leur maladie (alors qu’ils étaient seulement 35% à la fin des années cinquante). Chez un nombre croissant de ces personnes, il y a un fort désir de faire de l’expérience de la maladie un savoir à partager, voire un métier. Alors que la relation sachant-malade prédomine en médecine depuis des siècles, le concept d’apprentissage par les pairs va grandissant : les patients deviennent les nouveaux sachants et dialoguent entre eux. Comme une profonde remise en cause de la médecine paternaliste exercée par certains…
Quelles évolutions ont permis cela ? En France, il y a d’abord eu la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : elle instaure le consentement libre et éclairé du patient aux actes et traitements qui lui sont proposés, et son corollaire, le droit d’être informé sur son état de santé. Elle place le patient au centre de la politique de santé et renforce ses droits. Puis la loi Hôpital, Patient, Santé et Territoire du 21 juillet 2009 a posé le cadre de l’éducation thérapeutique du patient et permis, ainsi, de définir le rôle potentiel des patients-experts. Enfin, 2011 a été déclarée année des patients et de leurs droits avec, comme objectif, de « renforcer la visibilité et l’effectivité des droits des patients, améliorer leur information, et promouvoir leur place dans le système de santé ».
Empathie et prises de parole
Qui peut devenir patient-expert ? Une personne souffrant, ou ayant souffert, d’une maladie chronique, ou un proche ayant accompagné un tel malade, sensible à la cause des patients et/ou investi auprès d’eux et, surtout, ayant une capacité de réflexion et d’analyse. C’est quelqu’un qui a pris du recul sur la maladie, fait preuve de motivation à s’impliquer, est à l’aise avec la prise de parole, n’impose pas ses opinions mais s’engage à délivrer des connaissances scientifiquement éprouvées. Un patient-expert doit faire preuve d’empathie, d’optimisme et d’une capacité à travailler en équipe. Son champ d’expertise peut être vaste : le biomédical, l’accompagnement des malades, la représentation devant les instances sanitaires, voire l’activisme ou la participation politique en tant que représentant des usagers du système de soins.
Un patient-expert peut, notamment, participer à la mise en place et à l’animation d’un programme d’éducation thérapeutique. Il peut alors apporter son expérience de la maladie, des traitements, mais aussi de la vie quotidienne (alimentation, activité physique, accompagnement psychologique…) et aborder différents sujets que les malades n’osent pas toujours soulever avec les soignants (fatigue, vie professionnelle, sexualité, conditions de travail…) De cette expérience, il peut retirer une reconnaissance en tant qu’intervenant dans une équipe d’éducation thérapeutique et une contribution à l’évolution du système de santé. Et, bien sûr, une expérience enrichissante à plus d’un titre, une valorisation, un sentiment d’utilité sociale et un épanouissement personnel.
La France a été le premier pays au monde à délivrer un diplôme officiel de patient-expert. En 2009, la Pre Catherine Tourette-Turgis a, en effet, créé à Paris l’université des patients-Sorbonne. À ce jour plus de 200 patients y ont déjà été formés. Depuis, les universités de Grenoble et Marseille ont suivi. Elles délivrent des certificats ou des diplômes universitaires, voire un master en éducation thérapeutique du patient. Des associations de malades proposent aussi des enseignements très poussés mais sans diplôme reconnu.
Si l’on peut devenir patient-expert en suivant une formation au sein d’une association de malades (durée 40 à 60 heures), il existe aujourd’hui plusieurs formations universitaires diplômantes de patients-experts qui conduisent à un CU (Certificat Universitaire), un DU (Diplôme Universitaire) ou un Master d’éducation thérapeutique du patient. Ces formations sont ouvertes aux patients (et aux professionnels de santé à Paris Sorbonne) titulaires du baccalauréat ou d’une équivalence, voire même d’une dérogation délivrée par un responsable pédagogique de la formation.
A l’université des patients-Sorbonne par exemple, 120 heures de formation débouchant sur un DU se répartissent sur 40 h de cours théoriques et 80 h d’enseignements dirigés comprenant un stage pratique de 2 journées. A Marseille, la formation comprend 60 heures d’enseignement théorique et un stage de 12 heures (pour le CU) ou 30 heures (pour le DU) en milieu hospitalier ou dans une institution sanitaire. Quelle que soit l’université des patients, le patient est recruté sur dossier et les frais d’inscription sont modulables pour ne pas constituer un frein.
Trois universités proposent des formations diplômantes afin de devenir patient expert certifié :
Paris : universitedespatients-sorbonne.fr/
Grenoble : formations.univ-grenoble-alpes.fr/fr/index.html
Marseille: medecine.univ-amu.fr/fr/diplome/cu-deducation-therapeutique-patients-experts
Du bénévolat à la professionnalisation ?
Depuis une dizaine d’années, des patients-experts diplômés exercent de nombreuses fonctions bénévolement, seuls ou avec des professionnels de santé : ateliers d’activité physique pour malades ; groupes de paroles ; mise au point, animation et évaluation de programmes d’éducation thérapeutique ; prises de parole devant des étudiants en médecine sur l’annonce diagnostique et la relation patients-soignants ; participation à l’élaboration de protocoles de recherche… Ils forment aussi d’autres patients-experts. Certains centres hospitaliers ou associations tentent de professionnaliser ces nouveaux « soignants » en les rémunérant. C’est le cas, par exemple, à l’Institut du sein d’Aquitaine, où une patiente-experte, formée à l’université des patients-Sorbonne, exerce une mission d’accompagnement et d’information des patientes, en témoignant notamment de son propre parcours, et participe à des projets de recherche clinique sur le vécu des malades.
De nombreuses questions demeurent cependant. Notamment celle de faire de sa maladie un métier. Un patient-expert peut-il représenter plus que lui-même ? À quoi la Pre Tourette-Turgis répond : « de nombreuses activités professionnalisent les expériences de vie, avec la validation des acquis de l’expérience, par exemple. Si quelqu’un veut faire de sa vie, de son expérience, un métier, cela doit devenir possible. Combien de médecins, d’infirmiers, de psychologues sont devenus ce qu’ils sont parce qu’ils ont été affectés tout-petits par une expérience qui les a marqués ? » Autre interrogation : quels savoirs ces patients-experts peuvent-ils apporter à des médecins en formation ? « Si en médecine, on apprend par nos pairs à diagnostiquer et traiter des maladies, le métier nous rappelle bien vite qu’elles sont vécues par des patients et leur entourage. C’est en redonnant sa place au patient en tant qu’acteur de la formation qu’on prévient le risque de penser et de décider à sa place » répond Nicolas Lechopier, enseignant-chercheur en philosophie et membre de PACTEM, un projet de recherche-action concernant les patients en tant que formateurs des professionnels de santé, développé à Lyon. Enfin, serait-il moral de rémunérer ces patients-experts ? Dans un avis rendu en septembre 2020, le Comité Éthique et Cancer estime qu’il n’est « nullement inéthique que des malades ou anciens malades sollicités pour l’expertise qu’ils ont développée à partir de leur expérience de la maladie – que cette dernière ait été validée ou non par une formation – soient rémunérés pour des missions qu’ils réalisent ».
En 2017, Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, écrivait dans sa préface du livre d’Alexandre Biosse Duplan Démocratie sanitaire : « permettre à chacun d’être un acteur de sa santé de même qu’un acteur vigilant des évolutions du système de santé est désormais une exigence citoyenne assumée, issue de l’histoire de la démocratie sanitaire telle qu’elle s’est construite au fil des évolutions culturelles et sociétales françaises ». Cette nouvelle démocratie sanitaire ne pourra se faire sans une plus grande reconnaissance et implication des patients-experts.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, moins de 50 % des malades chroniques suivent leur traitement correctement. D’où l’importance de l’éducation thérapeutique qui, désormais, fait partie intégrante des soins. Objectifs : aider les personnes souffrant de maladies chroniques à devenir capables de prendre en charge leur maladie, et produire des bénéfices en termes de santé et de finance publique.
Concrètement il s’agit, lors de séances individuelles ou collectives, d’apporter les informations nécessaires au patient pour qu’il comprenne sa maladie et sa prise en charge, de définir les compétences qu’il doit acquérir (savoir, par exemple, comment mesurer sa glycémie ou prendre son traitement contre l’asthme), d’évaluer régulièrement ses progrès et ses besoins, et de soutenir sa motivation à être un acteur de sa prise en charge. Cette éducation thérapeutique du patient (ETP) peut être dispensée par des professionnels de santé et/ou des patients formés à cela. Depuis 30 ans que se développe l’ETP, de nombreuses études ont apporté la preuve de son efficacité dans l’amélioration de la prise en charge des malades, quelle que soit la pathologie.
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