Les futures mouches vertes sont des fées, si l’on songe que leur action peut épargner de la gangrène, de l’amputation ou du choc septique, première cause de mortalité dans les services de réanimation.
On a beau dire aux enfants que les petites bêtes ne mangent pas les grosses, la vérité, c’est que des insectes nécrophages se régalent de nos chairs. Ainsi, dans notre imaginaire, associons-nous les vers à la putréfaction des corps et à la mort. Mais rendons justice aux asticots : ils sauvent aussi des vies. Ces êtres voraces sont de remarquables auxiliaires de santé, capables d’astiquer une plaie infectée plus proprement qu’une infirmière.
Une longue histoire qui croise celle des antibiotiques…
L’un des pères de la médecine moderne, Ambroise Paré, le chirurgien de Napoléon, Dominique Larrey, et de nombreux médecins de guerre ont observé que la croissance de certains asticots sur de vilaines blessures était bénéfique. Au point qu’ils en ont développé une thérapeutique, semant des oeufs de « Lucilia sericata » sur des plaies, pour en favoriser la cicatrisation.
En vogue dans l’entre-deux-guerres, l’asticothérapie est tombée dans l’oubli avec l’avènement des antibiotiques. Ironie de l’Histoire : depuis une trentaine d’années, on y revient, parce que le recours généralisé aux antibios a conduit à l’apparition de souches bactériennes neusocomiales, par exemple le SARM (Staphylocoque aureus résistant à la méthiciline), une cochonnerie mortelle qui résiste à presque tout, mais pas aux braves vermisseaux.
Des vertus reconnues, mais des indications limitées
Promus en 2004 au rang de médicaments par les autorités sanitaires françaises, les asticots restent marginaux dans nos services dermatologiques où leur usage est très encadré. Ils peuvent intervenir dans le traitement des plaies chroniques, ostéomyélites, ulcères, escarres, brûlures et autres « pieds diabétiques ». Mais, alors que dans les pays anglo-saxons et nordiques on recourt assez largement à l’asticothérapie, en France, on la réserve aux cas les plus graves, quand les soins conventionnels ont échoué.
Nombre d’études ont établi une double action : de détersion, autrement dit de décapage des tissus morts, et de désinfection, particulièrement intéressante en présence de bactéries résistantes aux antibiotiques. L’une et l’autre sont un préalable incontournable à la cicatrisation : il faut que le lit d’une plaie soit débarrassé de ses débris organiques et de la fibrine, pour que se reconstituent les tissus ou que l’on puisse effectuer une greffe.
Les larves mangent beaucoup, mais pas n’importe quoi
On procède généralement à la détersion ou au débridement des plaies par une action chimique, l’application de pansements très spécifiques, d’hydrogels, et, le cas échéant, de façon mécanique, en grattant avec une curette ou un scalpel. L’opération qui n’est pas indolore doit être renouvelée régulièrement, et elle implique, tandis que l’on enlève les tissus nécrosés, d’abimer des tissus sains.
Les larves de mouches vertes, elles, sont sélectives et ne s’attaquent qu’aux cellules mortes. Précisons bien au passage que ces bébêtes ne croquent pas les chairs meurtries avec leurs petites mandibules… Elles sécrètent des enzymes qui liquéfient les tissus nécrosés et les ingèrent sous cette forme. Quand le patient ressent des picotements, il ne s’agit pas de morsures, mais d’une irritation causée par les sécrétions des larves.
Ces travailleuses infatigables affichent une productivité hors pair. La littérature médicale regorge d’exemples de détersion complète en une poignée de jours, là où les techniques conventionnelles ne donnaient rien depuis des mois. Au début du traitement, les ogresses font la taille d’un grain de riz. Trois ou quatre jours après, elles mesurent un bon centimètre.
A la fois désinfectant et stimulant « naturels »
Dans le cas des plaies infectées, les larves ont cette autre qualité majeure d’éradiquer certaines bactéries. Les raisons en sont mal connues : certaines sécrétions larvaires auraient une action antibactérienne, d’autres rendraient le milieu moins propice à la prolifération microbienne par une élévation du pH. Par ailleurs, les bactéries ingérées ne survivraient pas au passage dans le système digestif des larves.
Enfin, il est à noter que la larvothérapie pourrait stimuler la cicatrisation proprement dite. On a en effet constaté que les larves favorisaient le développement d’un tissu granulaire de bonne qualité, dans les premiers temps de la cicatrisation. Des chercheurs tentent d’accélérer ce processus avec des larves de mouches génétiquement modifiées. Ils sont parvenus à leur faire sécréter un facteur de croissance humain, soit une molécule favorisant la multiplication des cellules.
Presque aussi anodin qu’un pansement classique…
D’ores et déjà, les bénéfices thérapeutiques de l’asticothérapie sont acquis. Reste la question de sa mise en œuvre. Elle est devenue bien plus aisée pour les soignants et acceptable pour les patients. Concrètement, si les larves peuvent être appliquées directement sur la plaie, par exemple en Grande-Bretagne, en France, elles se présentent exclusivement au sein de poches de gaze scellées, qui permettent la circulation des fluides, mais pas aux asticots de s’échapper.
Ce conditionnement permet de très vite lever les freins psychologiques. Cela vaut pour les soignants qui manipulent les petites bêtes comme ils le feraient d’un quelconque pansement, et plus encore pour les patients, d’autant moins réticents qu’ils ne voient pas les larves et les sentent à peine.
Le biobag de Biomond (© Biomond)
… et parfois plus rentable
Il en va de même du coût de ce traitement qui n’est pas négligeable, sachant que l’on ne récolte pas les œufs de mouches dans n’importe quel jardin, mais que l’on stérilise les larves suivant des protocoles drastiques. Les « biobags » que l’on utilise en France ont ainsi un coût supérieur à celui des soins conventionnels, de l’ordre d’une centaine d’euros l’exemplaire. Cela peut sembler beaucoup, mais c’est dérisoire dans le cas d’une plaie chronique, traitée en une poignée de jours plutôt que des semaines, voire des mois de traitement chirurgical et médicamenteux.
Le bénéfice économique est évident dans la durée, plus encore si la larvothérapie évite une amputation et ses suites.
POUR ALLER PLUS LOIN
• L’historique de l’asticothérapie sur le site du CHU de Saint-Etienne qui la pratique.
• Sur cicatrisation.info, une synthèse complète et documentée (PDF).
• Les conclusions de la principale étude menée en France.
• Un reportage vidéo sur France TV.
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