Cédrine Jarlier est psychologue dans le cabinet Parenthèse, situé à Cournon d’Auvergne, près de Clermont-Ferrand. Elle nous a accordé un entretien sur les effets du confinement, constatés chez ses patients habituels et les nouveaux patients qui la sollicitent en téléconsultation pendant l’épidémie de COVID-19.

Ci-dessus :

Notre interview à distance de Cédrine Jarlier (audio).

Jean-Christophe Moine – Vous continuez à recevoir les patients en télé-consultation ou par téléphone. Quel est votre retour d’expérience sur cette période de confinement ?

Cédrine Jarlier — Le problème, aujourd’hui, c’est la confidentialité. Quand les gens viennent au cabinet, c’est leur moment à eux. Mon cabinet s’appelle Parenthèse parce que c’est vraiment un moment où ils sont entre parenthèses et dans une petite bulle rien qu’à eux. Alors que là, pour le coup, on est en visio ou par téléphone. Pour ceux qui sont célibataires ou qui habitent seuls, pas de problème. Mais pour ceux qui ont une vie de famille, c’est beaucoup plus compliqué de s’isoler et de pouvoir parler de choses confidentielles à sa psychologue.

Je pensais qu’il y aurait une explosion des demandes liées à l’anxiété, au climat général et à ce virus. Et, finalement, de nouveaux patients m’ont contactée pour parler de sujets très habituels, très classiques, souvent liés à des problématiques familiales, que l’on retrouve, bien sûr, exacerbées par le confinement, mais pas forcément en rapport avec le virus.
Le fait d’être enfermé en famille vient exacerber les problématiques qui étaient là, qui existaient, qui étaient sous-jacentes, et auxquelles on se retrouve confronté 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Dans le travail de suivi des patients habituels, ça nous permet d’avancer presque un peu plus vite, parce qu’on se confronte vraiment et réellement à ces problèmes : les problèmes de couple, par exemple, ou les difficultés concernant la parentalité. La parentalité est un problème qui est assez récurrent. Ce n’est pas simple d’être parent et là, c’est intéressant, parce qu’on ne fuit pas la situation. Au contraire, on est obligé de l’affronter vraiment et donc de trouver des solutions.

JCM — Chez les ados, qui ont peut être besoin de plus de dépenses énergétiques et de relations sociales, de voir leur amis, les effets sont-ils plus notables ?

CJ — Je trouve que les ados ne vont globalement pas trop mal. Les ados ont déjà l’habitude, bien plus que les adultes, de gérer les relations sociales par téléphone. Donc ils continuent comme avant. Mais, chez eux, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, la grosse problématique est plutôt liée à l’angoisse des cours, qu’ils soient au collège ou au lycée. C’est terrible, parce qu’ils ne savent pas du tout ce qu’ils vont devenir en tant qu’élèves et ils ne savent pas si ils vont pouvoir passer leurs examens normalement. Le confinement, ils le vivent très bien ; ils gèrent très bien parce qu’il y a déjà une habitude des écrans –  généralement, on crie aux grands dieux qu’ils passent leur vie devant les écrans ! Au final, eux s’en sortent très bien au niveau social, mais avec beaucoup de stress lié à la scolarité.

JCM — Ça se manifeste comment, quels sont les symptômes ?

CJ — On repère des symptômes qui vont être liés à des TOC, c’est à dire à des comportements obsessionnels et compulsifs, avec une idée récurrente. On veut reprendre le contrôle sur la situation et, du coup, on va effectuer des gestes qu’on n’effectuerait pas d’ordinaire. Ça peut être des gestes de contrôle : est-ce que la porte est fermée, pas fermée ? La fenêtre ouverte ou fermée ? etc. Ce sont des comportements qui explosent un peu chez les ados, mais chez les adultes aussi. Et on retrouve également beaucoup de problèmes de sommeil : « j’arrive à m’endormir – et encore, pas toujours -, mais j’ai tendance à me réveiller dans la nuit. Et là, je ne me rendors plus… ».

JCM — La presse s’est faite le relais d’effets graves du confinement, qui pouvaient aller jusqu’au stress post-traumatique. La détresse psychologique que vous pouvez noter est-elle une détresse plutôt normale, qui se règle assez facilement, ou peut-on parler de traumas plus importants ?

CJ — On ira jusqu’à des traumas importants sur les personnes qui sont déjà fragilisées. Les personnes qui vont globalement bien, et qui n’avaient pas de grosses problématiques avant le confinement, vont très bien s’en sortir. Certaines personnes osent dire – c‘est quelque chose de tabou dans la société actuelle – que le confinement a des effets bénéfiques sur eux. Ils adorent être dans cette situation, qui passe presque trop vite. Il y a donc cette partie de la population et une autre partie, beaucoup plus fragilisée. Ce sont les gens qui présentent des troubles d’anxiété généralisée. Ce qu’on appelle des TAG. Ils sont encore plus anxieux, pas seulement face au confinement, mais davantage face aux virus et à la notion de mort qu’il y a derrière. Le climat est anxiogène pour eux, encore plus que pour nous. Quelque part, on valide leurs pires craintes et on valide ce qu’ils redoutaient le plus en leur disant que la situation est grave et qu’il faut absolument rester confiné.
Moi, je ne parlerais pas de stress post-traumatique pour eux. On n’en est pas là. Le stress post-traumatique vient vraiment lorsqu’il y a un événement traumatisant auquel on assiste visuellement. Ce n’est pas tout à fait le cas. On est quand même sur autre chose. On est mis à distance, au contraire. Ce qui m’inquiète beaucoup pour la suite, ce sont les personnes qui ont tendance à déjà être en repli social, c’est à dire des gens qui vont présenter une anxiété sociale, voire une phobie sociale, qui ont tendance à se replier un peu sur eux-mêmes. On vient leur demander d’accentuer ce comportement pendant des semaines, voire des mois, alors que nous, psychologues, on fait en sorte justement de pouvoir les sortir de ce confinement social. On va retrouver des phénomènes d’anxiété sociale qui peuvent s’aggraver.

JCM — Les comportements agressifs sont-ils plus exacerbés en période de confinement ?

CJ — Oui, tout à fait. C’est ce qu’on retrouve dans les problématiques liées à la parentalité notamment. On a beaucoup entendu parler des femmes qui pouvaient se faire violenter par leur conjoint. C’est une réalité mais, personnellement, je n’ai pas eu ce retour pour l’instant. Par contre, ce que j’observe c’est l’agressivité – en tout cas l’énervement qui peut aller jusqu’à l’agressivité – des parents vis à vis de leurs enfants. On demande aujourd’hui aux parents d’être enseignants. Or, les parents ne sont pas enseignants. D’une part ce n’est pas leur métier et, d’autre part, quand bien-même ce serait leur métier, ils ne peuvent pas être enseignants de leurs enfants. On n’est pas sur la même relation quand les enfants sont avec un enseignant, qui représente une figure d’autorité, mais qui est neutre au niveau émotionnel, et lorsqu’ils sont avec leurs parents, qui représentent aussi une figure d’autorité, mais pour qui ils ont des émotions et des sentiments. On a des parents qui se sentent dépassés, débordés, qui veulent bien faire, qui ont des attentes vis à vis de leurs enfants et qui leur en demandent énormément. Les enfants, eux, se sentent perdus, débordés, et n’y arrivent pas, ils se sentent en échec. Les enfants pleurent, les parents s’énervent. Il peut y avoir beaucoup de cris, beaucoup d’énervement voire, effectivement, des gestes d’agressivité, des tapes, des claques, etc.

JCM — Quels sont vos conseils pour gérer cette situation, qui peut parfois dégénérer ?

CJ — Les conseils, c’est de limiter le temps de travail des enfants. Faire travailler les enfants cinq heures par jour, c’est une aberration. On n’est pas à l’école. Ce n’est pas possible. Il faut proposer aux enfants des temps d’apprentissage réalistes : peut-être deux fois une heure par jour ; on limite, on va jusqu’à une heure, une heure trente d’apprentissage. On fait une pause, on respire, on va un peu dehors, on fait une récréation comme en temps normal. Et puis on reprend pour une heure, une heure trente maximum de travail. Et on s’arrête. On ne peut pas attendre le même niveau de scolarité qu’en temps normal. D’autant plus qu’il faut avoir conscience que certains parents peuvent effectivement être un peu derrière leurs enfants ; mais d’autres enfants n’ont pas cette chance-là, avec des parents qui travaillent, ou qui télétravaillent, et qui ne sont pas disponibles, ou qui n’ont pas le niveau de scolarité pour accompagner leurs enfants. Il faut se déculpabiliser. Les enfants feront au mieux, apprendront ce qu’ils pourront. Mais, pour autant, on ne met pas la pression à ces enfants et on ne les met en échec. Dès lors que l’enfant montre des signes de fatigue, c’est qu’on est déjà allé trop loin. Donc on fait une pause. C’est nécessaire.

JCM — Vous avez évoqué le télétravail. Est-ce qu’il est, lui aussi, source de problèmes particuliers ?

CJ — Ce qui est important, c’est de réussir à cloisonner un peu le monde du travail et le monde familial. En cela, dans la mesure du possible, avoir une pièce isolée pour travailler, c’est important. Signaler qu’on est en train de travailler au reste de la famille. Avoir des repères temporels aussi. Se créer des plages de travail qui sont réalistes. Quand on fait un travail qui permet qu’on puisse être dérangé à un moment donné, le signaler. Mais vraiment cloisonner. Cloisonner sa vie de travail, sa vie de famille. C’est important. Et quand on passe à la vie de famille, on n’est plus en télétravail. Donc, on fait en sorte de ne pas se laisser perturber par les notifications des mails, des SMS. A 20 heures, le patron peut bien envoyer tous les mails qu’il souhaite, on ne lui répond plus. C’est le moment d’être en famille, de manger. Le risque du télétravail est dans la surcharge de travail qu’on va s’imposer. On a le bureau qui est à proximité. Le risque, c’est l’épuisement professionnel et le burn out.

Ce temps de confinement a des vertus positives très intéressantes. Le fait de passer du temps en famille, il faut s’en saisir, c’est important. Mais ce qui est important aussi, c’est de pouvoir faire en sorte que chacun puisse avoir des temps d’intimité. Ces moments en famille seront d’autant plus importants, et d’autant mieux vécus pleinement, qu’ils ne seront pas permanents. Si on s’accorde du temps en famille, une heure par-ci et par-là, ce sera agréable. En revanche, le risque que j’observe chez les personnes qui ont tendance à se sentir envahies par la famille, c’est d’être en famille tout le temps. Cuisiner en famille, faire un jeu de société en famille, pouvoir faire une petite promenade en famille, puisque c’est autorisé une heure par jour, pourquoi pas ? Mais il faut réussir à faire comprendre aux membres de la famille que chacun a besoin de temps d’intimité et de pouvoir s’isoler, de façon régulière. Et ça, c’est important pour les adultes, mais pour les enfants aussi : que les frères et sœurs puissent avoir des temps chacun de leur côté ; qu’ils ne soient pas obligés d’être ensemble tout le temps.

JCM — Quelle est votre vision sur l’après-confinement ?

CJ — J’ai beaucoup d’appréhension sur les problématiques familiales. Avant cette période, les gens arrivaient à gérer à peu près leur vie de famille et leur travail. Là, en ayant été enfermés les uns avec les autres en permanence pendant plusieurs semaines, avec des petites failles familiales déjà présentes, j’ai vraiment peur que certaines familles explosent. Certaines familles vont pouvoir se ressouder, mais on nous parle d’explosion des divorces, notamment. J’ai un peu peur de ça pour la suite.

— Note de Cédrine Jarlier —

 

La situation économique dégradée par ces deux mois de perte d’activité professionnelle risque d’entraîner des conséquences psychologiques importantes. Les familles fragilisées économiquement vont se retrouver en insécurité matérielle et morale et certaines situations risquent d’être dramatiques. Les accompagnements pluridisciplinaires psychologiques et sociaux seront indispensables pour soutenir ces familles et les aider à remonter la pente, tout en développant des capacités de résilience suffisantes pour ne pas laisser la situation économique au premier plan de la vie familiale.

JCM — Votre conseil, pour finir ?

CJ — Ce qui est important, sur la période de confinement, c’est de garder un rythme, des repères temporels, de ne pas procrastiner. On se dit qu’on a le temps, mais c’est mieux de ne pas remettre les choses au lendemain. C’est vraiment important. Et se fixer de petits objectifs, pas des objectifs quotidiens, parce que ça peut être un peu ennuyeux, mais des objectifs au moins hebdomadaire. Se mettre des défis personnels. Cela peut permettre de mieux gérer et de faire que cette période de confinement soit une vraie réussite pour chacun.

JCM — Ça pourrait être le moment de s’initier à des pratiques encore un peu méconnues, comme la méditation ou la sophrologie ?

CJ — Oui, tout à fait. C’est très accessible aujourd’hui. Il y a plein d’applications gratuites sur les téléphones, de vidéos sur YouTube. C’est vraiment l’occasion d’aller découvrir ces techniques. Elles permettent de sortir des ruminations. On pense au virus, on pense à la situation, etc. Ce sont des pensées qui tournent en boucle dans la tête, et pouvoir se recentrer sur son corps et sur des pensées positives va permettre qu’il n’y ait plus de place dans la tête pour ces pensées négatives. C’est quelque chose de naturel, de facile, de très accessible. Donc vraiment, oui, c’est l’occasion où jamais de faire de la méditation, de la sophrologie et de se concentrer vraiment sur ce qu’on fait ici et maintenant. La pleine conscience.

— Atelier de sophrologie —

 

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Sarah-Jane Ennis donnant un atelier de sophrologie La sophrologue Sarah-Jane Ennis

 

Lire l’article complet sur les effets psychologiques du confinement.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

• Cédrine JARLIER propose des consultations pour enfants, adolescents, adultes et les couples au sein du cabinet PARENTHÈSE.

• On pourra aussi lire les conseils de Cédrine Jarlier pour bien vivre le confinement dans La Montagne.

 

 

Crédits

Interview : © Ethnomedia / jcm pour Apivia Prévention
Photo : © Cédrine Jarlier