Parmi les 9000 personnes qui se suicident chaque année en France, 30 % ont plus de 65 ans. Elles sont déterminées à en finir et choisissent fréquemment la pendaison, la noyade ou la défenestration, des méthodes qui laissent peu de chance de rater sa sortie.

Le taux de suicide augmente avec l’âge. Et si le suicide concerne davantage les hommes à tout âge, c’est encore plus vrai après 75 ans, où l’on dénombre 4 à 6 fois plus de suicides masculins. Le suicide des personnes âgées reste malheureusement un sujet tabou, déplore la vice-présidente de l’Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS), Françoise Facy, qui se désole que la vieillesse reste assimilée à un « naufrage et une déchéance ». Cet âgisme ambiant n’est sans doute pas étranger à une forme d’abandon des aînés, de déni de leurs maux et de résignation face à leur perte. Le suicide est d’autant moins l’objet de préoccupation que cet archétype de la « mauvaise mort », comme le suggère l’anthropologue Frédéric Balard, apparaît moins choquante lorsqu’elle concerne des personnes âgées, qui ont « fait leur vie ». Le fait que le suicide représente moins de 1 % des causes de décès des séniors n’est peut-être pas étranger au peu d’études sur la genèse de la vulnérabilité suicidaire de ces derniers.

L’âgisme : Lire notre article et visionner notre vidéo : L’âgisme, quand la vieillesse s’abîme.

La dépression en tête des multiples facteurs de risque de suicide

Isolement social et familial, isolement sensoriel, perte d’autonomie, mauvaise santé, veuvage, angoisse de mort : une personne âgée peut avoir des raisons légitimes de ressentir une détresse psychologique, à un moment où les processus de régulation cognitive et d’adaptation peuvent être moins performants. Les profonds remaniements identitaires qu’impose le processus de vieillissement peuvent, à eux seuls, être suffisamment perturbants pour provoquer un repli sur soi et un sentiment de perte de sens, voire alimenter un terrain dépressif. A l’inverse, une tendance dépressive déjà en place, ou des traits psychologiques, comme une tendance aux émotions négatives, peuvent exacerber le ressenti dramatique de cette étape de la vie. Ce terrain dépressif peut être ancien ou lié à l’âge, notamment en raison de déséquilibres hormonaux et d’anomalies cérébrales altérant le fonctionnement nerveux et la transmission de l’information.

Or, malgré la complexité des interactions des facteurs de risque suicidaire, la dépression majeure des personnes âgées a un rôle déterminant dans le passage à l’acte : le suicide est corrélé à une dépression dans plus de 80 % des cas.

Diagnostiquer la dépression pour prévenir le risque de suicide des personnes âgées…

Le diagnostic des premiers signes de dépression serait donc un levier efficace de prévention du suicide des personnes âgées. Mais il est difficile à poser. Les symptômes de dépression des séniors sont souvent moins évidents que ceux des personnes plus jeunes, car masqués par d’autres signes, notamment des douleurs somatiques, ou des comportements liés à des troubles neuro-dégénératifs comme la maladie d’Alzheimer. La formation des professionnels de santé à la reconnaissance précoce de la dépression est donc essentielle, estiment des psychologues, qui rappellent les résultats d’une étude canadienne de 2005, montrant que « deux tiers des personnes âgées suicidées avaient consulté leur médecin généraliste durant le mois précédant leur geste suicidaire » (source en anglais).

Bien diagnostiquer suppose aussi d’interroger nos représentations de la vieillesse. Dans une société qui considère qu’une personne âgée ne ferait qu’anticiper un événement inéluctable en se suicidant, « à quoi bon tâcher de prévenir ce « petit reste à vivre » », se demande le sociologue Arnaud Campéon. La dépression est peu diagnostiquée chez les séniors parce que beaucoup de professionnels de santé banalisent eux-mêmes les sentiments de tristesse et de déprime des vieux.

… et maintenir des relations sociales

La prévention des conduites suicidaires des personnes âgées passe par le renforcement des facteurs de protection. Pour éviter que des personnes âgées ne se suicident dans l’indifférence, un de ces principaux facteurs est la lutte contre l’isolement. Les relations sociales, dans le maintien de liens familiaux et la recherche de liens amicaux, sont primordiales. Elles permettent d’exprimer ses émotions et de reconnaître celles des autres, de mettre en œuvre ses compétences sociales et ses capacités de résolution de problème, de se sentir soutenu et utile en apportant son soutien, de prendre du recul, en particulier en mobilisant son sens de l’humour. Toutes ces ressources psychiques viennent contrecarrer les facteurs de vulnérabilité suicidaire, tels que des traits de personnalité impulsive ou pessimiste, un vieillissement cérébral pathologique, des facteurs de stress dus aux événements et à l’environnement de vie ou encore aux pathologies somatiques, et des antécédents personnels et familiaux de tentatives de suicide.

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Pour aller plus loin

Repérer les signes d’une dépression chez une personne âgée – Perte d’estime de soi, repli sur soi, désintérêt général, état de confusion, troubles du sommeil, refus de soin et d’alimentation, conduites régressives, irritabilité doivent alerter l’entourage. Une formation aux premiers secours en santé mentale peut être très utile.

Numéro national de prévention du suicide – Des professionnels de la psychiatrie sont disponibles 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 au 31 14. L’écoute, par des professionnels formés à la prévention du suicide, est confidentielle et gratuite pour les personnes en souffrance, les personnes inquiètes pour un proche, les personnes endeuillées par un suicide, les professionnels de santé ayant besoin d’un avis spécialisé. Source : Portail national d’information et d’orientation des personnes âgées en perte d’autonomie et de leurs proches.

Date à retenir : le 3 février 2023Journées nationales pour la prévention du suicide (JNPS).

Crédits

Texte : © J.-C. Moine / Ethnomedia

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