La phobie scolaire révèle les conflits psychiques de l’enfant qui en est atteint autant qu’elle engage les relations intra-familiales et questionne le système scolaire. La pédopsychiatre Laelia Benoit nous aide à faire le point sur ce syndrome qui constitue un défi clinique et thérapeutique.

Certains enfants refusent d’aller à l’école et développent des réactions d’anxiété ou de panique très fortes lorsqu’on essaye de les y forcer (selon la définition d’Ajuriaguerra, 1975).
La phobie scolaire étant due à de multiples facteurs, on lui préfère aujourd’hui le terme de refus scolaire anxieux (RSA), plus adapté à ce syndrome aux diagnostics variés : troubles de l’attention (avec ou sans hyper-activité – TDAH), troubles dys (dyslexie, dysorthographie, etc.), troubles du spectre autistique, dépression, angoisse de performance, phobie sociale, ou encore stress-post-traumatique et, parfois chez les plus petits, anxiété de séparation.
Des études récentes estiment qu’environ 2 à 5 % des enfants scolarisés pourraient être concernés, avec des effets inquiétants sur leur scolarité, leur santé mentale et leur insertion socioprofessionnelle à l’âge adulte.
La Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent R-2012 retient la définition suivante : le refus scolaire anxieux est une « manifestation d’angoisse majeure avec souvent phénomène de panique liée à la fréquentation scolaire et interdisant sa poursuite sous les formes habituelles ».

Un syndrome multifactoriel

Le refus scolaire anxieux « brouille sans cesse nos représentations et se dérobe à notre pensée, vraisemblablement parce qu’il existe de très nombreuses raisons, très différentes, pour lesquelles un enfant ne peut plus ou n’arrive plus à aller à l’école » constatent le professeur de psychiatrie Jean-Philippe Raynaud et la pédopsychiatre Nicole Catheline dans l’introduction de leur livre Les phobies scolaires aujourd’hui.
Tout petit, nous explique la psychiatre et sociologue Laelia Benoit, « l’enfant qui s’accroche à ses parents a peur de se séparer d’eux. C’est ce qu’on appelle l’angoisse de séparation, historiquement repérée par les pédopsychiatres dans les années 40 ». Plus tard, à l’école primaire, le refus scolaire anxieux peut être dû à « un trouble de l’apprentissage, à un trouble du langage comme la dyslexie, ou moteur comme la dyspraxie, à un « décalage », par exemple chez des enfants atteints d’un autisme non détecté ou surdoués ». Ces enfants peuvent développer un mal-être, puis une dépression, qui finit parfois par un refus complet de l’école, devenue trop anxiogène. C’est encore plus vrai lorsque ces troubles et ces singularités entraînent une relation difficile avec l’enseignant.
Autres causes, les expériences de harcèlement. « Tout âge confondu, on sait qu’un enfant phobique scolaire sur deux a été harcelé. Mais c’est particulièrement net au collège, où les enfants peuvent être prompts à repérer les personnes différentes, à les mettre à l’écart et à les harceler ». Puis vient le temps du lycée, où « l’angoisse de la performance, la peur des examens, peut aussi entraîner des épisodes de dépression. L’adolescent se sent de plus en plus mal, le lycée devient un lieu angoissant, les résultats sont de plus en plus mauvais, et la phobie scolaire surgit ». Dans certains cas, elle peut conduire à une tentative de suicide.

Souvent difficile à détecter

L’organisation psychologique du refus scolaire anxieux est « complexe, invalidante et volontiers résistante », écrit le psychiatre Olivier Revol, qui voit dans le parcours nécessaire pour se rendre à l’école un moyen d’élaborer un diagnostic : une difficulté à quitter la maison suggère une anxiété de séparation, une impossibilité à se confronter au regard des autres oriente vers une phobie sociale, des problèmes pour utiliser ses capacités cognitives fait penser à des troubles cognitifs, et l’évitement des situations sociales pénibles, la difficulté à accepter les règles et la discipline, évoquent le refus de l’autorité.

— Des signes qui doivent alerter —

Anorexie, scarification, renfermement, troubles du sommeil, refus répétés de se lever…  sont autant de signes avant-coureurs à prendre en compte sans délai.

« Les jeunes enfants ne sont pas capables de dire qu’ils ont peur et qu’ils sont angoissés », poursuit Laelia Benoit, mais les signes somatiques ne trompent pas lorsqu’ils surviennent systématiquement les veilles d’école : « le dimanche soir, l’enfant se plaint d’un mal de tête ou de ventre ». Le lendemain matin, il est paniqué, ne veut pas aller à l’école, et se retrouve à l’infirmerie scolaire si on le force à s’y rendre. Quant aux ados sujets à la phobie scolaire, remarque-t-elle, « ce sont souvent des jeunes très volontaires et intéressés par leur scolarité. Ils se font violence pour tenir bon, ils essaient de maîtriser leurs angoisses, ils cachent leur mal-être. Ils finissent par en parler lorsqu’ils se sentent épuisés, qu’ils n’en peuvent plus ». Le risque est alors que cette anxiété massive passe pour un caprice, et que l’entourage, voire le médecin de famille, ne réponde que par un message moralisateur, demandant à l’enfant de faire un petit effort, car « oui, la vie, ce n’est pas si simple, personne n’aime aller à l’école ». Une réponse blessante qui ne fait qu’augmenter la douleur et la détresse des enfants.

Prise en charge : besoin de temps

Ces phobies nécessitent généralement d’arrêter l’école le temps de faire redescendre la pression et de comprendre ce qui se passe (qui demanderait à  un salarié d’aller au travail lorsqu’il fait un burn-out ?), de faire un bilan et d’engager une psychothérapie. « Le cas le plus simple est celui d’un enfant qui a peur de l’école, sans avoir subi de harcèlement, sans qu’il y ait de cause externe. Il réagira assez bien aux psychothérapies cognitivo-comportementales, que l’on utilise pour soigner la peur des araignées ou la peur des avions. Le principe est de montrer que l’école n’est pas menaçante en travaillant sur ses croyances. La thérapie familiale ou multi-familiale, qui permet d’exprimer les difficultés en famille, est intéressante et souvent efficace quand les parents sont un peu dépassés. Dans des cas plus complexes, une prise en charge en hôpital de jour est parfois nécessaire, une ou plusieurs fois par semaine, comme à la Maison Solenn, où des jeunes participent à des activités créatives en petits groupes de 7 à 10 maximum. Ces jeunes, sensibles et souvent timides, peuvent se montrer tels qu’ils sont, enlever un peu leur carapace, reprendre progressivement confiance. Pour les grands ados qui ne sont pas prêts à reprendre l’école, les services de soins-études couplent des soins psychiatriques de longue durée et la poursuite ou la reprise d’études adaptées, avec des enseignants formés. Quand il y a eu harcèlement, des syndromes post-traumatiques ont pu apparaître. On doit alors s’occuper d’abord du trauma, dans une prise en charge globale, avant de proposer des stratégies de reprise élaborées en lien avec l’école ».
Dans tous les cas, on peut chercher de l’aide auprès de son médecin traitant, d’un pédopsychiatre, des maisons des adolescents et des centres médico-psychologiques.

— A lire —

Les conseils de la psychologue Marie Gallé-Tessonneau, dans Vous! par Macif.

 

Le cœur de la prise en charge, c’est la synergie bienveillante entre parents, école et thérapeutes. Il faut donc informer l’école de la situation, car les bonnes relations entre l’école et les parents sont essentielles à la réussite de la reprise scolaire : « idéalement, un jeune en situation de refus scolaire devrait pouvoir être accueilli à l’école deux heures par jour dans un premier temps, puis quatre heures, même pour ne rien faire de particulier, de manière à ce qu’il se ré-adapte en douceur, à son rythme, à cet environnement anxiogène… Mais c’est difficile à mettre en place, car c’est en contradiction avec le calendrier de l’Education nationale ». Laelia Benoit participe à des formations d’enseignants mais, même s’ils sont très volontaires, la pédopsychiatre pointe les limites du système scolaire français : « les enseignants ont envie d’aider mais ils ont leur part de stress, avec des programmes scolaires à respecter, des décisions à prendre, des orientations à suivre… » De plus, ce système impose une grosse pression par rapport à d’autres pays où, par exemple, le lycée peut se faire en trois ou cinq ans en fonction de l’envie des jeunes de boucler leurs études rapidement ou de prendre leur temps. Cette pression a un impact sur la santé mentale des élèves : « on sait que les niveaux d’anxiété des élèves français sont parmi les plus élevés, avec les jeunes japonais et coréens. Les points communs entre ces sociétés, c’est que la pression pour l’école commence assez tôt, et que le parcours scolaire est fait de bifurcations et d’orientations qui sont irréversibles. Ce point est un facteur de stress important, alors que finalement, tout ne s’écroule pas si l’on change de voie, si l’on est créatif et productif une année et un peu moins une autre… » La phobie scolaire interroge aussi notre rapport à l’école.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Phobie scolaire – Retrouver le plaisir d’apprendre, un livre de Laelia Benoit, Aurélie Harf, Marie Rose Moro

• L’Association Phobie Scolaire accompagne les parents avec une feuille de route, une écoute et des conseils via un réseau de correspondants régionaux et un groupe facebook d’entraide.

Crédits

Photo : © Keira Burton