Le petit-déjeuner est considéré comme une évidence. Au réveil, notre corps a besoin de toute l’énergie nécessaire pour attaquer la journée, cela semble logique. Pourtant, le petit-déjeuner est régulièrement questionné. Est-il indispensable ? Voire y aurait-il des bénéfices physiologiques à le faire sauter ?
Commençons par l’origine même du mot. Dé-jeûner, c’est rompre le jeûne, signification du mot latin disjejunare, qui est aussi à l’origine du mot français dîner. Il est intéressant de constater le glissement sémantique depuis l’époque de François Ier, lorsque la cour assistait à la messe avant de prendre le premier repas du jour, donc le déjeuner vers 10 h, suivi entre 14 h et 17 h du dîner, puis du souper vers 21 h.
Le petit-déjeuner au saut du lit est une invention aristocratique et bourgeoise du XIXe siècle, repoussant le déjeuner à midi, le dîner au soir et exit le souper !
Une injonction de la société
Aujourd’hui, un « p’tit-déj » c’est intime, ça « s’instagramme » et ça s’installe dans la construction mentale de notre quotidien. Cependant l’injonction de petit déjeuner ne correspond pas forcément à tous les métabolismes.
Et non, pas facile pour tout le monde d’avaler quoi que ce soit quelques minutes après avoir émergé du sommeil. C’est comme si on attaquait un sprint sans échauffement préalable. En effet, manger en quantité au sortir d’une période de jeûne, c’est brutaliser son système digestif et ne pas lui laisser le temps nécessaire pour se régénérer et finir d’éliminer les toxines et déchets. Cela revient à donner du carburant à son corps avant même de se dépenser physiquement ! Pour Julien Allaire, naturopathe, le fait de digérer le sucre et le gras du petit-déj’ pompe toute notre énergie. Car manger fatigue, on le constate aisément lors du coup de barre de 14h.
Rien à déclarer côté prise de poids ou cholestérol
Il est une croyance dure qui consiste à penser que zapper le petit-déjeuner aurait pour conséquence de grignoter ou de s’empiffrer les repas d’après. Or, les études scientifiques n’ont rien à déclarer côté incidences sur le poids ou le cholestérol d’une impasse sur le premier repas.
En 2014, des chercheurs de l’Université de Bath (Angleterre) ont demandé à 33 sujets de sauter le petit-déjeuner, ou au contraire de ne pas le rater. Après six semaines d’étude, aucun changement n’a été constaté dans leurs taux de cholestérol (en anglais).
Parallèlement, une étude parue dans l’American Journal of Clinical Nutrition (en anglais) en septembre 2014 a été réalisée auprès de 300 bénévoles présentant un surpoids. Répartis au hasard en trois catégories, les sujets ont dû respectivement prendre leur petit-déjeuner, le supprimer ou poursuivre leurs habitudes alimentaires. Seize semaines plus tard, aucun des bénévoles pesés n’avait perdu ni gagné de poids de manière significative (en anglais). Conclusion : la suppression de ce repas du matin n’avait pas conduit les participants à prendre des déjeuners et dîners beaucoup plus copieux, mais simplement à compenser à calories égales sur les repas suivants, sans affecter le total des calories de la journée.
Alors, bye-bye petit-déjeuner ?
Pas exactement, mais il s’agit de le considérer autrement.
Certains spécialistes émettent la proposition de retarder l’heure du petit-déjeuner. Il ne s’agit donc pas de le sauter mais de manger quand le corps réclame de recharger ses batteries. Plus on attend avant de sortir du jeûne, mieux le corps peut se concentrer sur un renouvellement cellulaire sain et efficace. Frédéric Saldmann, cardiologue et nutritionniste, auteur de Votre santé sans risque, recommande de boire beaucoup dans ce laps de temps prolongé de jeûne de la nuit, qui peut être ponctuel. En revanche, attention, éluder l’étape petit-déjeuner est déconseillé aux personnes souffrant d’hypoglycémie.
Le petit-déjeuner demeure important pour la concentration et l’activité physique
Dans l’actualité récente, le lien entre petit-déjeuner, réussite à l’école et pauvreté vient d’être mis de nouveau en évidence.
Dans un rapport sur la pauvreté, en 2015, l’inspecteur général de l’Éducation nationale Jean-Paul Delahaye estime que parmi les élèves des écoles maternelles et primaires situées en zone prioritaire, 13 % ne prennent jamais de petit-déjeuner avant de partir à l’école. Une absence de repas qui, pour les enseignants, a des conséquences directes sur la santé et la scolarité des enfants : ils manquent d’énergie, sont plus fatigués et ont donc du mal à se concentrer jusqu’au déjeuner.
Le député Olivier Véran propose une distribution de petits-déjeuners gratuits dans les zones concernées. Il s’appuie sur une étude menée au Royaume-Uni en 2009 concernant l’effet du petit-déjeuner sur les capacités des enfants : Les écoliers qui petit déjeunent obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les autres, différence davantage marquée chez ceux dont le statut nutritionnel et socio-économique est le plus défavorable. Les élèves britanniques bénéficiant d’un petit-déjeuner gratuit auraient rapidement amélioré leur niveau en mathématiques, en écriture et en lecture.
Pas tant la quantité que la qualité qui compte !
Nous avons tous en tête cet adage qui préconise de manger « comme un roi le matin, comme un prince à midi et comme un gueux le soir ». Mais « comme un roi » ne signifie pas forcément manger beaucoup… Le Plan national nutrition santé (PNNS) recommande un petit-déjeuner composé d’au moins un produit céréalier avec une très fine couche de beurre, de confiture ou de pâte à tartiner, un produit laitier (lait, yaourt ou fromage blanc), un fruit frais ou pressé, ou, à défaut, un petit verre de jus de fruit sans sucre ajouté.
Or, sur le site Yuka, le nutritionniste Anthony Berthou nous met en garde contre les petit-déjeuners sucrés qui favorisent la sécrétion d’insuline, hypoglycémiante, et préconise de préférer un fruit à son simple jus, exempt de fibres bénéfiques. Attention aussi aux céréales choisies : pain blanc, biscottes et céréales soufflées-fourrées-sucrées ne valent rien. Pour être sûr d’ingérer de bons sucres lents, optez pour des flocons d’avoine, du muesli traditionnel et du pain complet.
C’est en version salée que le petit-déjeuner est le plus sain : un ou deux œufs, des amandes, des noix et des noisettes, un avocat… Donc notre sacro-saint « french croissant », trop gras et sucré, est à réserver pour un plaisir ponctuel !
Si on regarde du côté de ce qu’on mange à l’étranger, on évitera les saucisses grillées ou le bacon du traditionnel et gras breakfast anglais, mais on pourra s’inspirer du petit-déjeuner japonais, à base de riz, de poisson et de légumes marinés. Et oui, des « california makis » le matin pour faire le plein d’Oméga 3. Egalement inhabituels, les champignons ont tout bon : ils sont rassasiants, et riches en protéines !
S’écouter et faire confiance à son corps !
En résumé, l’idée est de s’écouter, sans s’interdire ou s’obliger. Une fois mis de côté tous les produits d’apport nutritionnel médiocre ou carrément néfastes comme le pain de mie, la brioche, la pâte à tartiner ou les céréales industrielles, on va vers ce qui nous parle : un œuf dur, du jambon, des amandes, une banane… Si on n’a pas faim à 7h15, on pense à avoir sur soi une collation pour 9 heures ou 10 heures. Et que l’on mange ou pas, on s’hydrate en buvant de l’eau et du thé vert, puissant antioxydant. Notre corps sait très bien s’adapter et il est capable d’équilibrer le bol alimentaire fourni sur la journée entière, et même sur la semaine !
POUR ALLER PLUS LOIN
• Selon le Rapport sur la pauvreté en 2015, de l’inspecteur général de l’Éducation nationale Jean-Paul Delahaye : « les enfants scolarisés en secteur d’éducation prioritaire dorment moins que les autres et s’alimentent moins systématiquement le matin avant la journée scolaire. Cela diminue leurs capacités d’attention et de concentration à l’école et ces enfants sont, de fait, avant même le début de la journée scolaire, dans des conditions d’apprentissage moins favorables que les autres ».
• Pour se rendre compte à quel point les heures et la nature des repas est affaire de culture, on lira avec intérêt Le temps de manger, Alimentation, emploi du temps et rythmes sociaux (Maurice Aymard, Claude Grignon et Françoise Sabban (dir.), Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1993).
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