Un des meilleurs marketings de ces vingt dernières années est sans doute celui des marques de boissons énergisantes qui ont su faire passer leurs produits stimulants pour des breuvages vertueux dédiés aux sportifs tout en communiquant aussi sur leurs avantages plus que douteux pour les fêtards ! Ces boissons, qui ne doivent pas être confondues avec les boissons énergétiques, n’ont pourtant vraiment rien d’excitant d’un point de vue sanitaire. 

Les boissons énergisantes : une composition qui pose question.

Ce terme commercial n’est encadré par aucune réglementation et regroupe des sodas enrichis en diverses substances dont les marques vantent des vertus stimulantes pour les étudiants et les sportifs, sur fond de réputation sulfureuse savamment entretenues par une stratégie de communication qui cible principalement les 15-25 ans.

Introduites en 1987 sur le marché autrichien par Red Bull, ces boissons « rebelles » firent leur arrivée en France en 1996 mais furent immédiatement interdites à la vente, en raison d’une composition suspectée d’avoir des effets délétères, notamment en raison de la présence élevée de caféine, de taurine (un acide aminé) et de D-glucuronolactone (un sucre), en plus des multiples vitamines, extraits de ginseng et de guarana qui composent ces mixtures. L’interdiction fut levée en 2008, une étude de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) confirmant en 2009 que l’exposition à ces molécules aux niveaux utilisés dans les boissons énergisantes n’était pas source d’inquiétude.

Prises séparément, les concentrations de chacun des ingrédients qui constituent le cocktail classique des boissons énergisantes ne poseraient en effet guère de problème. Une canette de 250 ml contient, par exemple, environ 80 mg de caféine, soit à peu près autant qu’un expresso ou qu’une grande tasse de café maison. C’est une dose sans danger pour les enfants qui, selon l’EFSA, peuvent consommer jusqu’à 3 mg de caféine par kilogramme de poids corporel, soit environ 100 mg pour un enfant de 35 kg et 170 mg pour un ou une ado de 55-60 kg. Pourtant, des problèmes existent. Ils surviennent principalement quand ces boissons « qui donnent des aiiiles », selon une marque bien connue, sont consommées sans modération et/ou en combinaison avec de l’alcool.

En chiffres Selon des sources un peu anciennes de l’Anses, un quart environ des consommateurs français de boissons énergisantes a entre 14 et 25 ans et 60 % sont des hommes.

Source : ANSES

Selon un rapport de l’Efsa, environ 30 % des adultes de 18 à 65 ans interrogés étaient des consommateurs de boissons énergisantes, 12 % d’entre eux ayant une consommation « élevée et chronique » (4,5 litres par mois en moyenne) et 11 % une consommation « élevée et aiguë » (une quantité importante consommée en une fois).

Environ 68 % des adolescents 10 – 18 ans interrogés étaient des consommateurs de boissons énergisantes, avec la même proportion de consommation « élevée et chronique » (7 litres par mois en moyenne) et « élevée et aiguë » que chez les adultes.

Enfin, 18 % des enfants de 3 à 10 ans interrogés étaient des consommateurs de boissons énergisantes, 16 % d’entre eux en avaient une consommation « élevée et chronique » (près de 4 litres par mois).

Consommation excessive : des effets indésirables sur la santé attestés

Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses), en 2012, 25 % des consommateurs français de boissons énergisantes en consommaient plus de 500 ml sur une même journée. En 2013, une étude révélait qu’environ 12 % des consommateurs de ces breuvages en consommaient plus d’un litre en une seule séance ! Or, à forte dose, l’action combinée des ingrédients de ces boissons a des effets indésirables documentés, tant sur le plan cardio-vasculaire (de la simple sensation d’oppression ou de douleurs thoraciques à l’arrêt cardiaque…) que psychocomportemental. Des complications neurologiques (hallucinations, psychose, convulsions) ont aussi été rapportées. Même à dose modérée, les effets ne sont pas négligeables : rythme cardiaque rapide, difficultés à dormir, maux de tête, nausées, vomissements, diarrhée ont été rapportés par les jeunes interrogés dans une enquête canadienne qui montre des effets indésirables significativement plus élevés que chez les simples consommateurs de café.

Mélange avec l’alcool : une majoration des risques

Toujours selon l’Anses, environ 16 % des jeunes consommateurs mélangent les boissons énergisantes avec de l’alcool. Or, ce cocktail a été associé à deux fois plus de rapports sexuels non protégés, de risques d’être impliqué dans une agression sexuelle et d’accidents de la circulation. La caféine fut un temps suspectée d’être la cause de ce risque aggravé, l’altération de la conscience de l’ivresse qu’elle provoque ayant été associée à une probabilité plus importante de se livrer à des actes potentiellement dangereux. Mais elle ne serait finalement pas impliquée. En fait, les comportements à risque consécutifs à la consommation de ces mélanges pourraient être liés à l’effet d’un marketing comportemental redoutablement efficace, agissant comme un véritable placebo selon certains chercheurs.

Ces derniers ont élaboré une expérience faite sur trois groupes de consommateurs : les membres du premier groupe étaient invités à boire un cocktail composé de boisson énergisante et d’alcool, ceux du deuxième groupe un simple cocktail d’alcool et de jus de fruits, et ceux du dernier un cocktail de jus de fruits seulement.

Les chercheurs, qui ne dirent à personne que les mélanges étaient en fait strictement les mêmes et qu’ils contenaient tous une boisson énergisante, ont montré que la moitié des jeunes hommes du premier groupe, à qui ils avaient offert une « vodka-Red Bull », s’est senti plus ivre et a eu des comportements plus risqués que ceux à qui ils avaient proposé un simple « cocktail vodka » ou un « cocktail de fruits ». Le fait de savoir qu’ils buvaient une boisson énergisante avait influencé le ressenti et les comportements des personnes du premier groupe, comme le raconte le professeur Chandon dans l’émission Télé Matin.

Enfin, contrairement à ce que nous vendent les marques, dont la publicité est largement centrée sur l’activité sportive, les boissons énergisantes n’ont aucun intérêt nutritionnel utile à l’exercice physique. Elles sont même déconseillées, car elles augmentent les pertes en eau et en sels minéraux, indispensables à l’effort, ainsi que la tension artérielle et le rythme cardiaque, ce qui peut s’avérer dangereux dans un contexte où le système cardio-vasculaire est déjà très sollicité. Ces produits n’ont rien à voir avec les boissons énergétiques des sportifs.

Les boissons énergétiques : uniquement utiles en cas d’effort physique prolongé

Contrairement aux boissons énergisantes, les boissons énergétiques, également appelée boisson de l’effort, sont des boissons diététiques, qui font l’objet de l’encadrement règlementaire spécifique des produits diététiques et de régime, et sont formulées pour soutenir une activité physique intense. Elles sont riches en glucides (sucres), en vitamines, essentiellement B et C, en sels minéraux, et sont dites « isotoniques » car leur densité est proche de celle du sang, ce qui permet leur absorption optimale lorsqu’elles passent dans l’intestin.

Ces boissons sont dites énergétiques car, outre qu’elles hydratent, elles apportent de l’énergie. Les muscles squelettiques sont de grands consommateurs de sucre pendant les efforts intensifs. Ils le stockent sous forme de glycogène, un polymère de glucose qui sert de réserve, et qui est transformé en glucose quand l’activité le nécessite. De son côté, le foie, principale source de glycogène, fournit le sucre dont l’organisme a besoin pour stabiliser la glycémie (taux de sucre dans le sang) et participer à l’approvisionnement des cellules musculaires en énergie. L’apport de sucre pendant l’effort permet de limiter l’utilisation des réserves de glycogène, d’atténuer la fatigue, et de lutter contre le risque de blessure, notamment les tendinites.

Pour parfaire le cocktail, l’ajout de vitamines B dans la recette de ces potions a pour but de favoriser le métabolisme des glucides et la production d’énergie. Quant à la vitamine C, ses vertus antioxydantes en feraient une alliée des muscles, dont la sollicitation intense entraîne des atteintes cellulaires (stress oxydatif) et des douleurs. Paradoxalement, les propriétés antioxydantes et réparatrices de cette vitamine pourraient cependant s’accompagner d’une action négative sur les qualités d’endurance des muscles.

Enfin, quand on bouge, on perd des sels minéraux, notamment du sodium, en transpirant. Une carence en sodium peut avoir des conséquences graves et conduire au coma, voire au décès. Mais ces accidents concernent essentiellement les marathoniens et les adeptes d’épreuves longues comme les trails, les triathlons ou les compétitions Ironman. S’il est essentiel pour ces sportifs de maintenir un taux de sodium optimal, garant de l’équilibre hydrique de l’organisme, la consommation de boissons énergétiques est moins pertinente pour autres sportifs. Elle peut même s’avérer problématique en cas de surconsommation, car un excès de sodium entraîne un état de déshydratation qui peut, lui aussi, avoir des effets délétères. Les boissons de l’effort ne sont donc utiles pour palier la perte de sels minéraux que si l’on en fait un usage raisonnable et adapté au contexte sportif.

Les médecins sont unanimes pour insister sur l’inutilité des boissons isotoniques lorsque l’effort dure moins d’une heure, tout comme ils alertent sur les dangers d’une hyperhydratation, potentiellement bien plus dangereuse que la déshydratation. Boire de l’eau à sa soif avant le départ d’un jogging de dix kilomètres, sous un climat tempéré, est donc bien suffisant. Pour des durées d’activité physique supérieures, ou dans des conditions climatiques difficiles, une recette simple de boisson énergétique consiste à mélanger un litre d’eau ou de thé à deux cuillères à soupe de miel ou de sucre, un quart de cuillère à café de sel et un jus d’orange pressée.

Enfin, des pédiatres estiment que toutes ces boissons, qu’elles soient énergétiques ou énergisantes, trop souvent confondues, ont en commun d’être bien trop caloriques et sucrées pour être consommées tous les jours, en particulier par les enfants et les adolescents. La Société canadienne de pédiatrie rappelle qu’elles peuvent poser un risque pour leur santé et contribuer à l’obésité, l’association entre consommation de boissons sucrées et risque de surpoids ayant en effet été assez nettement établie, bien que les causes de l’obésité soient multifactorielles. En France, le Programme national nutrition santé (PNNS) encourage à limiter très fortement la consommation de boissons sucrées.

Pour aller plus loin

Évaluation des risques liés à̀ la consommation de boissons dites « énergisantes »
Avis de l’Anses, septembre 2013

Les boissons énergisantes et les jeunes : un point sur leur consommation
Une recherche du Centre universitaire de médecine générale et santé publique de Lausanne – Groupe de recherche sur la santé des adolescents

Nutrition du sportif
Comment adapter l’alimentation et les apports nutritionnels aux besoins spécifiques des sportifs ? Cet ouvrage a pour objectif d’établir la synthèse des connaissances scientifiques en matière de nutrition du sportif.

Crédits

Texte : JC Moine / Ethnomédia 

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