Une femme avec une liste de courses à la main est dans une grande surface

Manger sainement est un des piliers d’une bonne santé. Mais de faibles revenus rendent parfois difficile l’accès aux produits de qualité et le goût de cuisiner.

Manger sainement

Une alimentation saine et variée, combinée à une activité physique régulière, permet d’éloigner les risques de cancer, de maladies cardiovasculaires, d’obésité ou encore de diabète de type 2. Le Programme national nutrition santé (PNNS), créé en 2001 pour sensibiliser la population à la nutrition, conseille d’augmenter la consommation quotidienne de fruits et légumes (en particulier chez les adultes en situation de pauvreté) et de légumes secs (lentilles, pois chiches, haricots), à cuisiner au moins deux fois par semaine. Il recommande la consommation de féculents complets et peu raffinés (pain, pâtes, riz…) au moins une fois par jour, les produits laitiers deux fois par jour, et de privilégier les matières grasses d’origine végétale (huile de colza, de noix et d’olive notamment). Le poisson, dont un gras (sardine, maquereau, hareng, saumon), est lui aussi indiqué, mais pas plus de deux fois par semaine, de manière à limiter l’exposition aux contaminants (le méthylmercure en particulier). Les indications, qui se sont affinées au fil des ans, incitent aujourd’hui à réduire fortement la consommation hebdomadaire de viande (pas plus de cinq cents grammes de porc, bœuf, veau, mouton, agneau, abats), de charcuterie (pas plus de cent cinquante grammes), et à privilégier la volaille. Pour parfaire ce régime, on limite les produits sucrés, le sel et l’alcool (maximum 2 verres par jour et pas tous les jours). La seule boisson recommandée est l’eau. Enfin, se nourrir de produits issus de l’agriculture biologique est un plus.

Ces recommandations se heurtent à des résistances : culturelles, car il n’est pas toujours facile de changer des habitudes alimentaires acquises depuis l’enfance et partagées par sa famille et ses amis, et financières, car bien se nourrir a un coût que les personnes aux revenus modestes ne peuvent pas nécessairement assumer. Les injonctions à bien manger peuvent avoir un goût amer pour celles et ceux qui vivent dans l’incertitude de ne pas arriver à boucler leur budget mensuel.

Il existe une véritable insécurité alimentaire en France. 21 % des Français, et près de la moitié des foyers disposant d’un revenu mensuel net inférieur à 1 200 euros, ont du mal à se procurer une alimentation saine pour assurer trois repas par jour.

Une disparité sociale des comportements alimentaires

L’étude Esteban a montré que les comportements alimentaires des Français ont peu évolué entre 2006 et 2015. La consommation de fruits et légumes, ainsi que les apports en fibres, sont toujours globalement insuffisants, alors que les apports en graisses, sucre et sel restent trop importants. Le phénomène est plus marqué chez les personnes socio-économiquement défavorisées, dont l’alimentation « est caractérisée par de plus faibles apports en fruits et légumes, produits céréaliers complets, poissons, fibres, et en vitamines et minéraux », selon une étude de l’INSERM (.pdf).

78 % des Français estiment que les légumes, aliments phares des recommandations, sont indispensables pour être en bonne santé, mais seuls 33 % les trouvent abordables et 55 % choisiraient d’acheter davantage de légumes si leur budget alimentaire augmentait de 20 % (enquête IPSOS).

Sur fond de versement d’une aide alimentaire exceptionnelle destinée aux ménages les plus modestes et aux étudiants boursiers, on peut se demander si tous sont en mesure de suivre les recommandations du PNNS. Et, quand ils les suivent, peuvent-ils privilégier des aliments de qualité, c’est-à-dire des végétaux et des produits laitiers sans pesticides, des viandes qui ne sont pas issues d’une boucherie maltraitante pour les animaux, et des produits de la pêche respectueuse du milieu marin ? Rappelons que l’ambition du gouvernement est de proposer, à terme, un dispositif d’aide qui permettra d’accéder à des produits frais de qualité, biologiques et locaux, avec une priorité sur les fruits et légumes.

La nutrition à l’épreuve de la réalité socioéconomique

Ramenés à leur valeur calorique, les produits les plus chers sont effectivement les fruits et les légumes, les moins chers étant les matières grasses, les féculents et les produits sucrés. Quand les contraintes de budget sont fortes, il est plus simple et logique (en anglais) de se tourner vers ces aliments rassasiants, généralement faciles à cuisiner et à conserver, voire vers l’alimentation transformée qui en fait un large usage, au détriment des légumes, aliments périssables, plus longs à préparer, et qui ont le défaut de ne pas être immédiatement associés au plaisir gustatif et à l’impression de satiété.

« Le fait que les groupes d’aliments présentant les profils nutritionnels les plus favorables étaient également associés à des coûts énergétiques plus élevés suggère que la structure actuelle des prix des denrées alimentaires peut constituer un obstacle à l’adoption de directives alimentaires basées sur l’alimentation, du moins par les ménages à faible revenu. » The Journal of Nutrition, Volume 137, Issue 7, July 2007 (en anglais).

Pour Nicole Darmon, docteure en nutrition et directrice de recherches à l’INRA, des choix alimentaires contraints par un budget serré pèsent fortement sur la qualité nutritionnelle de l’alimentation consommée (.pdf). Les outils mathématiques qui lui permettent de simuler un panier alimentaire le moins cher possible, respectant l’ensemble des recommandations nutritionnelles en calories, protéines, lipides, glucides, fibres, vitamines, minéraux et acides gras essentiels, arrivent au résultat suivant : il faut au minimum 3,85 euros par personne et par jour pour manger équilibré. L’ordinateur n’arrive pas à composer de panier en dessous de ce chiffre. L’objectif serait tenable si ces simulations purement mathématiques ne conduisaient pas à des régimes alimentaires peu variés et bien éloignés des habitudes réelles de consommation (en anglais). La soupe aux lentilles maison, le riz ou les haricots bon marché, peu onéreux et nourrissants, ont leurs limites… Ainsi, un panier respectant les recommandations nutritionnelles  ET prenant en compte les normes sociales, de manière à correspondre aux habitudes alimentaires de la population, coûte beaucoup plus cher. Les régimes alimentaires sains les moins chers, estime la chercheuse, ne sont pas culturellement et socialement acceptables.

Des conseils nécessaires, mais qui ont leurs limites

La presse regorge de bons conseils pour s’alimenter sainement sans se ruiner. Parmi eux, on retrouve souvent l’incitation à acheter des produits locaux et de saison sur les marchés, les produits étant censés être moins chers, de meilleure qualité et se conserver plus longtemps que ceux des grandes surfaces. Autre proposition, remplacer les protéines animales par des protéines végétales, moins coûteuses. Ou encore, faire ses courses avec une liste précise pour ne pas acheter des produits inutiles, et surtout pas de plats industriels bourrés de sucre, de sel et de graisse.

La différence de coût entre des plats industriels et des ingrédients de marque distributeur permettant de les cuisiner soi-même s’avère très faible : le fait maison serait très légèrement moins coûteux que les plats cuisinés. C’est un bon argument pour inciter les personnes à faibles revenus à privilégier les produits frais plutôt qu’une alimentation ultra-transformée. Mais l’intention louable et légitime fait cependant fi de l’ensemble des facteurs qui influencent la manière de se nourrir. Une cuisine trop exigüe, des contraintes de stockage inadaptés, feront choisir des plats faciles à conserver et demandant peu de préparation culinaire. Des horaires de travail décalés et la fatigue pourront faire perdre aux plus motivés l’envie de cuisiner (.pdf).

Alors oui, on peut manger de manière équilibrée des aliments de bonne qualité nutritionnelle avec un budget limité, qui ne dépasse pas celui consacré à l’achat des plats ultra-transformés. Et on ne saurait trop inciter tous ceux qui abusent de ces plats ou négligent les légumes à modifier leur comportement alimentaire – on ne parle pas ici que des personnes aux revenus modestes ! Mais l’évolution des habitudes alimentaires se fait lentement, avec des contraintes qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde, et notamment des contraintes financières qui ne facilitent guère le choix de la qualité. Aujourd’hui, les nutritionnistes estiment qu’il faut « donner l’envie de faire en prônant la variété des sources alimentaires et non la règle du tout maison ou rien ». L’alimentation saine des personnes aux revenus limités passe par des conseils sur la manière de bien cuisiner qui soient « culturellement et socialement acceptables », mais aussi, sans doute, par un effort des industriels pour réaliser des plats de qualité, à la fois pratiques, abordables et nutritifs. Heureusement, des initiatives associatives existent, comme VRAC, une association (présentée dans cette émission de France Inter) qui crée des groupements d’achats dans les quartiers populaires pour rendre accessibles à tous les produits bios ou locaux, et pour apprendre à cuisiner très simplement des produits frais. Elle est aujourd’hui implantée dans près de 70 quartiers en France et contribue activement à la réduction des inégalités sociales en termes de nutrition.

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Pour aller plus loin

Recettes, idées d’activités et astuces pour manger mieux et bouger plus petit à petit sur le site Manger Bouger.

Inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique

Rapport qui présente les travaux du groupe d’experts réunis par l’Inserm dans le cadre de la procédure d’expertise collective pour répondre à la demande de la Direction générale de la santé concernant les stratégies de réduction des inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique.

Crédits

Texte : © J.-C. Moine / Ethnomedia

Photo © Kampus Production