Jeudi 10 juin 2021. Il est 22h30 et je sors d’une salle de concert dans laquelle s’est produit un groupe de jazz. Public masqué, jauge à 50 %, mais les oreilles étaient grandes ouvertes ! Ailleurs, dans les musées et tous les lieux de culture, ce sont les mirettes et tous les organes des sens qui se remettent en action. Et ça, c’est bon pour la santé !
Ci-dessus :
Elias Dris en concert à la Maroquinerie, Paris, le 29 avril 2019 – Photo © jcm/Ethnomedia
« La culture, un besoin vital en temps de crise » titrait, en mars 2020, le Directeur général adjoint de l’UNESCO pour la culture, Ernesto Ottone, dans un article plaidoyer pour l’accès à la culture, écrit à l’heure où des milliards de personnes étaient physiquement séparées les unes des autres : « la culture nous apporte réconfort, inspiration et espoir, alors qu’on traverse une période d’anxiété et d’incertitude inédite ».
L’engagement artistique : pour notre bien-être et notre santé
Elle nous apporte, en fait, bien plus que du réconfort, comme a décidé de le prouver l’Organisation mondiale de la santé qui, en 2019, a publié une revue complète des données convaincantes sur les arts et la santé (en anglais), analysant les données de plus de 3700 études provenant de 900 publications dans le monde. On y apprend ce que l’on savait déjà, mais qu’il est bon de confirmer : les arts ont des effets probants sur la prévention des problèmes de santé, la promotion de la santé et la prise en charge des maladies tout au long de la vie. Ils peuvent modifier les déterminants sociaux de la santé, en créant davantage de cohésion sociale et en réduisant les inégalités ; ils soutiennent le développement de l’enfant, dans le lien mère-enfant et l’acquisition de la parole en particulier ; ils aident à améliorer le bien-être et la santé mentale, et accompagnent efficacement les soins.
Le document de l’OMS décrit surtout les effets d’un engagement artistique (faire du théâtre, jouer d’un instrument, peindre…), incontestablement efficace pour améliorer le bien-être affectif (les émotions positives dans notre vie quotidienne), le bien-être évaluatif (notre satisfaction de vie) et le bien-être dit eudémonique (notre sentiment de sens, de contrôle, d’autonomie et de but dans nos vies) : « les avantages pour le bien-être d’un engagement régulier dans les arts sont évidents, même chez les enfants d’âge préscolaire, et chez les adultes, à la fois en termes de bien-être général et de bien-être au travail ». Mais il évoque aussi, à de nombreuses reprises, les études, moins nombreuses, permettant de démontrer les effets anti-stress et anti-anxiété de la simple écoute de musique ou visite de musée. Mieux encore, aller dans les galeries, au théâtre, au concert ou à l’opéra est associé à un taux de déclin cognitif plus lent et à un risque plus faible de développer une démence. L’engagement culturel serait en soi protecteur.
Des mécanismes que l’on comprend de mieux en mieux
Par quels mécanismes l’art agit-il sur notre santé ? C’est la question que posait Beaux Arts Magazine début 2019 – soit un an avant que la Covid-19 fasse des lieux d’art des espaces interdits – dans un article où le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux déclare que « le beau est essentiel à l’être humain parce qu’il nous fait du bien ». Oui, mais encore ?
L’art sculpte et caresse notre cerveau, poursuit joliment Pierre Lemarquis, dont le dernier ouvrage, L’art qui guérit, paru fin 2020, traite des bénéfices de l’art pour la santé, et complète ses autres essais sur la question : l’un paru en 2012, Portrait du cerveau en artiste, dans lequel il se demande si « l’art pouvait vraiment aider chacun de nous à vivre mieux et plus longtemps », et l’autre en 2015, L’Empathie esthétique, dans lequel il aborde les effets neurologiques et psychologiques de l’expérience esthétique. Arrêtons-nous sur cet essai, dans lequel le neurologue revient sur les premiers usages du terme empathie, introduit au milieu du XIXème siècle comme notion d’esthétisme : à l’époque, l’empathie « est la façon dont on rentre dans une œuvre d’art et dont elle rentre à l’intérieur de nous. On voit comment elle voit le monde, et inversement elle nous transforme ». Le cerveau, explique Pierre Lemarquis, « perçoit une œuvre d’art comme une entité biologique. Il cherche à trouver du sens, et toute une théorie de l’esprit se met en route, comme un dialogue ». Lorsque nous contemplons une œuvre d’art, nous commençons par chercher à comprendre ce que nous voyons. Le cortex frontal, la zone du cerveau identifiée comme le siège de la raison, est sollicité. Que cette œuvre nous plaise, et notre cerveau en intensifie luminosité, contraste et couleurs, et réveille nos neurones miroirs, des neurones découverts chez les singes macaques au début des années 90, puis chez les humains 20 ans plus tard, et surnommés les neurones de l’empathie. La clé du mystère de notre attirance énigmatique pour la Joconde ? Hum, pas si vite.
Ces neurones d’un genre particulier ont fasciné la communauté des neuroscientifiques à leur découverte. Ils permettraient de se voir agir à la place de l’autre, comme dans un miroir, et seraient indispensables à l’apprentissage et à la compréhension des autres (voir l’animation de l’INSERM), d’où leur surnom de neurones de l’empathie. Enthousiaste, le metteur en scène Peter Brook déclare alors : « avec la découverte des neurones miroirs, les neurosciences commencent à comprendre ce que le théâtre sait depuis toujours » !
Oui, mais attention ! Si les plus exaltés des têtes pensantes voient dans ces neurones miroirs la base de tous nos comportements sociaux, du langage, de l’orientation sexuelle, des attitudes politiques, voire même du tabagisme ou de l’obésité… d’autres restent plus prudents et mesurés, comme Jean Decety, neurobiologiste et psychologue spécialiste des mécanismes de l’empathie, cité par Le Temps : « ces neurones jouent un rôle certain dans le codage des actions, les apprentissages moteurs et les associations sensori-motrices. Mais de là à les rendre responsables de la compréhension des émotions ou de l’empathie, ce n’est pas sérieux ! »
L’expérience esthétique : un anti-stress
Quels que soient les processus neurologiques encore mal connus à l’œuvre, Pierre Lemarquis explique dans les pages du Monde que l’empathie esthétique réunit l’intellect, c’est-à-dire la faculté de reconnaître qu’une œuvre possède des qualités esthétiques, et l’émotion, liée au plaisir : « une œuvre d’art s’adresse aux deux facultés de notre cerveau. Elle le sculpte en lui faisant découvrir ce qu’il ne connaît pas. Elle le caresse en lui procurant plaisir et récompense. Ce phénomène a beaucoup été étudié en musique, et nous avons démontré qu’il opère également dans le champ des arts visuels. » Face à une œuvre qui lui plait, le visiteur d’un musée réduit sa production de cortisol (l’hormone qui sert à se réveiller le matin) et, donc, son niveau de stress. Les battements du cœur ralentissent, et le cerveau secrète de la dopamine, surnommée l’hormone du bonheur car elle est libérée par notre cerveau lors d’expériences associées au plaisir. Plus de plaisir, moins de stress, deux ingrédients essentiels à une bonne santé.
Apollon, dieu des arts, était aussi un dieu guérisseur. Quant à son fils Asclépios, dieu de la médecine, il accueillait dans ses sanctuaires, il y a plus de deux mille ans, des hommes et des femmes venus chercher un soulagement à leur souffrance. Il s’yjouait des tragédies aux vertus thérapeutiques, car les Grecs croyaient en la puissance du verbe et du jeu pour soulager la douleur. Une puissance dont on commence à peine à percer les mystères et dont nous reparlerons très prochainement dans un reportage sur l’art-thérapie.
Crédits
Photos : © jcm/Ethnomedia