Les festivaliers n’attendent que ça : s’en mettre plein les oreilles quand ils iront enfin écouter leur groupe préféré ! La majorité met son audition à rude épreuve, au risque de l’altérer doucement, mais sûrement.
L’enquête la plus fréquemment citée, un peu ancienne (Baromètre santé 2014), concluait que le port de protections d’oreilles était rare : seuls 2,5 % des jeunes de 15 à 29 ans déclaraient en porter à chaque concert, le comportement s’améliorant faiblement chez les 30-35 ans, 4,5 % déclarant en utiliser. Or, rappelle l’Organisation mondiale de la santé, si l’exposition occasionnelle à des sons trop forts n’entraîne qu’une déficience auditive ou des acouphènes temporaires, une exposition prolongée ou répétée peut provoquer des lésions permanentes et une déficience auditive irréversible, sans parler des autres conséquences physiologiques, mais aussi psychologiques et sociales.
Musique trop forte = danger
L’intensité sonore se mesure en décibels (dB), la valeur du seuil d’audibilité étant de 0 dB (A) et celle du seuil de douleur de 120 dB (A) : c’est l’intensité mesurée sur un circuit de formule 1, par exemple. On parle le plus souvent de dB (A), mais aussi de plus en plus fréquemment de dB (C) : il s’agit de mesures pondérées qui ne mesurent pas l’intensité sonore réelle, mais l’intensité sonore telle qu’elle sera perçue par une oreille humaine. A un volume sonore inférieur à 80 dB (A), un son aigu est perçu plus fort qu’un son grave. Mais au-dessus de 85 dB (A), la sensibilité de l’oreille humaine aux sons graves augmente : c’est ce que prend en compte le filtre de pondération C pour caractériser, de manière plus pertinente, l’impact des graves de ces sons forts sur notre audition.
Une fatigue auditive peut apparaître dès l’exposition à un niveau sonore de 70 dB (A) pendant plusieurs heures, soit le niveau sonore d’une salle de classe bruyante. Ce niveau est sans danger pour nos oreilles mais, combiné à d’autres facteurs, individuels, culturels et contextuels, il peut être la source d’une gêne (PDF) dont les effets psychologiques (stress, difficulté d’attention, troubles de l’humeur, sommeil perturbé…) et physiologiques (troubles cardio-vasculaires, hypertension…) sont loin d’être négligeables. A 80 dB (A), la durée d’exposition maximale recommandée est de 8 heures par jour. On conseille d’ailleurs aux travailleurs soumis à un tel bruit de porter des protections (casque, bouchons d’oreilles), qui deviennent obligatoires à partir de 85 dB (A) (considéré comme le seuil de danger) subis pendant 8 heures, ce type d’exposition chronique étant une source de perte auditive à moyen et long terme.
Dans les salles de concert, les discothèques et les festivals, la limite a été fixée par le décret n°2017-1244 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, adopté en 2017. Elle est de 102 dB (A) sur quinze minutes maximum, soit une baisse de 3 dB par rapport à la précédente réglementation (ce qui équivaut à diviser l’intensité sonore par deux) et elle est assortie d’une limite de 118 dB (C) sur quinze minutes à la sortie des caissons de basses (en front de scène). Une réglementation abusive selon les professionnels du secteur, qui s’estiment contraints de proposer aux spectateurs une « balance tonale » insupportable (avec moins de graves), et donc une qualité sonore plus que médiocre. Pourtant, on sait que les risques de surdité et d’acouphènes sont immédiats pour des niveaux sonores dépassant 105 dB (A), cette pression acoustique excessive pouvant détruire les cellules ciliées de notre oreille interne, de manière irréversible. La loi, trop contraignante pour certains, ne l’est ainsi pas suffisamment pour d’autres, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) recommandant de se limiter à 100 dB (A) maximum sur 15 minutes et, comme l’OMS, de ne pas dépasser un niveau équivalent de 85 dB (A) pour 8 heures d’événement.
Des populations plus sensibles aux niveaux sonores élevés
Une femme enceinte aura beau porter des bouchons d’oreilles, elle ne protégera pas son bébé d’une exposition à des niveaux sonores trop élevés. Or, rappelle l’INRS, « les bruits inférieurs à 250 Hz traversent facilement les barrières naturelles qui protègent le fœtus et sont donc potentiellement dangereux pour l’audition des enfants à naître ». Les séquelles auditives, qui pourraient apparaître au cours des trois derniers mois de grossesse, seraient irréparables. Seule solution : éviter les lieux bruyants.
Concernant le jeune public de 6 ans et moins, la limitation du niveau sonore des spectacles qui leur sont dédiés est de 94 dB (A) et 104 dB (C) sur une période de 15 minutes glissantes. Même s’ils boudent aujourd’hui, ils nous remercieront plus tard de les avoir préservés des sons grâce à des bouchons d’oreilles efficaces, voire en sélectionnant les spectacles adaptés à leur âge, et en les faisant garder lorsque nous sortons écouter ceux des adultes. Ce n’est pas le sujet, mais profitons de l’occasion pour rappeler qu’un bon usage des casques audio est, lui aussi, indispensable à la santé auditive des jeunes… et des moins jeunes.
En dessous de 80 décibels, on préserve son capital auditif
Pour rappel, il est fortement recommandé de ne pas dépasser quotidiennement 8 heures d’exposition à 80 dB, 15 minutes à 95 dB et 4 minutes à 101 dB. L’utilisation d’un casque anti-bruit ou de bouchons d’oreilles (qu’il faut savoir insérer correctement) permet de se protéger efficacement quand ces durées d’exposition sont dépassées.
En concert, il est prudent de s’éloigner des enceintes pour éviter de se prendre en pleine figure les basses qui, certes, font intensément vibrer les corps, mais détruisent les cellules ciliées tout aussi intensément.
Ceux qui ne supporteraient pas de ne pas vivre ces moments intenses de musique cathartique s’exposent à des troubles auditifs et devraient, a minima, faire des pauses régulières, 30 minutes toutes les deux heures, ou 10 minutes toutes les 45 minutes. La Fondation pour l’audition conseille aux organisateurs de festivals de musique de mettre en place des zones de pause sonore, lieux de repos des oreilles entre deux concerts. Elle propose aussi une application mobile, nommée Höra, qui a été validée scientifiquement et permet de tester son audition, de suivre son évolution, et d’accéder à des conseils qui seront bien utiles en cette période de festivals !
Texte : © J.-C. Moine / Ethnomedia
Photo : © Sébastian Ervi