Fauteuil de bureau ergonomique, cuillère à glace ergonomique, canne de marche ergonomique… L’adjectif “ergonomique”, nous l’entendons ou le lisons presque tous les jours. Mais savons-nous vraiment ce qu’est l’ergonomie ?

Aux origines de l’ergonomie

En remontant le fil du temps, trois courants précurseurs de l’ergonomie moderne peuvent être identifiés.
Le plus ancien, dont on trouve les prémices dans l’antiquité et la renaissance, s’intéresse aux effets du travail sur la santé. Il est incarné principalement par des médecins qui observent et répertorient les maladies les plus fréquemment rencontrées par corps de métier.
A partir du 19ème siècle, l’industrie se développe massivement, en Europe et aux États Unis notamment. Cette « révolution industrielle » est accompagnée par des ingénieurs qui imaginent une organisation du travail humain qu’ils souhaitent plus efficace et rationnelle. Vous connaissez peut-être deux de ces ingénieurs : Taylor et Ford, les théoriciens du travail à la chaîne.
Le courant le plus récent est lié au développement de la psychologie qui, jusque-là essentiellement théorique, adopte des méthodes d’observation et d’expérimentation dérivées des sciences naturelles et humaines. Ainsi, entre les deux guerres, des tests sont inventés, dans le domaine de la psychologie du travail, pour guider la sélection du personnel en fonction de critères psychologiques supposés nécessaires à la réalisation d’une tâche données. L’élaboration de ces tests met en évidence la nécessité de connaitre en profondeur la nature du travail.

C’est de la rencontre de ces trois courants après la Seconde Guerre mondiale, pendant les 30 Glorieuses, que va naitre l’ergonomie moderne. Cette époque est marquée par la mise en place d’une législation sociale dont l’influence dans l’organisation du travail est majeure : création d’une médecine du travail, comités d’hygiène et de sécurité, indemnisation en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail, etc. L’acte de naissance de l’ergonomie peut être daté à 1963 : la création de la Société d’Ergonomie en Langue Française (SELF).

Dans la peau d’un ergonome

D’après Jacques Leplat, un des père de l’ergonomie française, l’objectif de l’ergonomie « est l’aménagement […] des conditions de travail, en fonction de critères dont les plus importants regardent le bien-être au travail (confort, satisfaction, santé, sécurité, etc.) ». Pour mieux comprendre ce que cela signifie et pour découvrir les trois domaines de l’ergonomie moderne, je vous propose de suivre Mademoiselle Margaux Nome dans trois de ses interventions d’ergonome.

Margaux a travaillé dans le service expédition d’une grande entreprise de vente par correspondance. Le comité hygiène et sécurité s’est inquiété du grand nombre d’arrêts de travail dus à des troubles musculo-squelettiques (TMS), en particulier des lombalgies, et a demandé à la direction de mandater un cabinet d’ergonomie. Une période d’observation dans l’entrepôt et des discussions avec les employés ont permis à Margaux d’identifier les différents gestes réalisés par les opérateurs. En étudiant les postures correspondantes elle s’est rendu compte que la configuration des casiers de tri des articles obligeait les opérateurs à attraper les articles à bout de bras, en se penchant au dessus de la table de préparation des commandes. Cette posture met leur dos à l’épreuve. Elle a donc proposé une modification des postes de travail afin d’améliorer cette posture. Cette intervention est un exemple d’ergonomie physique. Cette spécialité a pour objectif d’observer, de décrire les caractéristiques du corps humain lorsqu’il réalise une activité physique de façon à minimiser d’éventuelles conséquence néfastes de cette activité physique.

Magaux Nome teste les conditions de travail pour évaluer les difficultés.

Margaux Nome a également travaillé auprès d’une PME pour adapter les situations de travail au handicap. Cette mission a fait appel à des notions d’ergonomie physique pour adapter les postes de travail aux spécificités des différents handicaps. Mais un autre domaine de spécialisation a été sollicité : l’ergonomie organisationnelle. Définition des horaires de travail, gestion des ressources collectives, travail à distance, etc. Cette seconde spécialité s’intéresse à l’optimisation de l’organisation du travail. Dans le cas de la PME, en réalisant des entretiens avec les salariés, Margaux s’est rendue compte que le trajet du domicile au lieu de travail était plus long long et plus compliqué pour certains salariés handicapés. Elle a donc proposé à l’entreprise de mettre en place un système de travail à distance qui permet aux salariés qui le souhaitent, et dont le poste le permet, de travailler un ou deux jours par semaine depuis leur domicile.

L’ergonomie a un rôle important pour l’accès au travail des personnes handicapées

En parallèle de ses autres activités, Margaux collabore régulièrement avec une startup qui développe des logiciels destinés à être utilisés par des novices en informatique. Elle aide les informaticiens à positionner les différents boutons, choisir les couleurs, organiser les menus de navigations. Pour cela, elle met à profit ses connaissances dans un troisième grand domaine de spécialisation : l’ergonomie cognitive. Cette spécialité s’intéresse aux processus mentaux, tels que la perception, la mémoire, le raisonnement, etc.

Ces trois exemples présentent des situations simplifiées à l’extrême pour illustrer les différents aspects de l’ergonomie. La réalité est bien sûr plus complexe. Par exemple, dans l’entrepôt avec les casiers de tri, Margaux a remarqué que les employés traitent tous les paquets les plus lourds en même temps au lieu d’alterner avec des paquets plus légers pour soulager leur dos. Est-ce qu’ils préfèrent faire les plus gros efforts au début de leur service quand ils ne sont pas trop fatigués ? Est-ce que c’est lié au fait qu’un employé d’un autre secteur doit récupérer en priorité ces paquets ? Le processus mental de l’employé, son expérience professionnelle, l’organisation entre les services et les conséquences sur les postures de travail sont en fait tous liés. Margaux doit donc proposer un aménagement de poste qui prend en compte ces différents aspects.

Nous aurons l’occasion d’illustrer la résolution de quelques problématiques ergonomiques au travail, dans toute leur complexité, dans les prochains articles de notre dossier consacré à ce sujet.

L’ergonomie concerne tous les secteurs du travail

POUR ALLER PLUS LOIN

L’histoire de l’ergonomie en détail : Repères pour une histoire de l’ergonomie francophone.

Le site de la société d’ergonomie en langue française (SELF).

Le descriptif d’une des plus anciennes formation en ergonomie, au Conservatoire National des Arts et Métiers, qui donne une définition plus précise des trois domaines de spécialisation évoqués dans l’article à travers des exemples.

Crédits

Photo : © pressmaster- WavebreakMediaMicro – Science RF – Eléonore H – Fotolia.com