La loi est formelle, le serment d’Hippocrate également : nous sommes tous égaux face aux soins médicaux. Dans les faits, des discriminations persistent pourtant, qu’elles soient liées aux revenus des patients, à leur genre, leur âge, leur orientation sexuelle, ou encore leurs origines sociales et ethniques.

« Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. […] Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. » Il n’est jamais inutile de rappeler que le serment d’Hippocrate, auquel s’engage tous les médecins français, pose les principes d’un territoire vierge de toute discrimination. Dans la pratique pourtant, des inégalités apparaissent : spécialistes évitant certains types de patients selon leurs origines ou revenus, traitements différents selon le genre, l’âge ou l’orientation sexuelle du malade, moindre accès aux soins lié à un handicap physique ou mental. Il peut aussi arriver que la discrimination de la part de professionnels de santé (par exemple à l’encontre de personnes LGBT ou de groupes d’immigrés et d’enfants d’immigrés) fasse perdre confiance aux patients et les conduise à renoncer aux soins…

L’argent fait la santé ?

En 2019, le Défenseur des droits et le Fonds CMU-C ont mené un test grandeur nature (.PDF) sur le territoire français : 1500 cabinets médicaux ont été contactés pour des prises de rendez-vous, soit pour une patiente fictive de référence, soit pour une patiente déclarant bénéficier d’une mutuelle réservée aux revenus les plus modestes (CMU-C ou ACS, aujourd’hui regroupés sous l’appellation « Complémentaire santé solidaire »). Résultat : pour ces deux demandes équivalentes, 12 % des cabinets médicaux ont refusé la patiente bénéficiant de la complémentaire santé solidaire alors qu’ils acceptaient la patiente de contrôle.
D’autres enquêtes de ce genre fleurissent depuis plusieurs années, avec des résultats similaires, voire supérieurs pour certaines spécialités. Une étude de 2006 dans le Val-de-Marne mesurait, par exemple, jusqu’à 50 % de refus chez les psychiatres. En 2020, les refus liés à une mutuelle solidaire représentaient ainsi près de la moitié des refus de soins en France. Pourtant, ceux-ci demeurent bel et bien totalement illégaux, comme le rappelle le ministère des solidarités et de la santé aux bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire : « la loi impose aux médecins de vous appliquer le tarif conventionnel, prohibe les dépassements d’honoraires et impose le recours à des tiers payants. Les professionnels de santé qui refuseraient votre prise en charge se rendraient coupables d’un refus illicite. » Malgré cela, certains médecins ne se cachent pas de refuser ces patients précaires. En 2017, plusieurs associations dénonçaient des médecins indiquant noir sur blanc, sur leur site, « Pas de CMU ». L’un de ces médecins se défendait alors dans les pages du journal Le Monde en avançant le manque à gagner avec ces patients sans dépassements d’honoraires : « Si je demande le tarif conventionnel de 23 euros, je travaille à perte, car 46 euros de l’heure, cela ne permet pas de faire tourner un cabinet à Paris ». En plus de cet aspect financier, d’autres professionnels avouent aussi craindre de faire fuir leur clientèle plus aisée.

Malheureusement, les populations fragiles touchées par ces refus sont aussi celles qui ont le plus besoin d’un suivi de santé. Un enfant d’ouvrier a, par exemple, 2,4 fois plus de risques d’avoir des caries qu’un enfant de cadre, et 2 fois plus de risque de souffrir de problèmes de poids (.PDF).

Stéréotypes et préjugés ont un impact sur la santé

Les discriminations basées sur les ressources s’ajoutent parfois à d’autres liées aux origines – réelles ou supposées – des patients, avec un monde médical qui, à l’instar du reste de la société, n’est pas exempt de préjugés. La sociologue Estelle Carde a ainsi décrit une grande variété de cas dans sa thèse « Les discriminations selon l’origine dans l’accès aux soins », allant de la stigmatisation des migrants à des différences de traitement plus subtiles, comme un patient noir orienté vers une consultation d’ethnopsychiatrie plutôt que vers un service de psychiatrie plus classique. À noter, tout de même, la dernière enquête en date du Défenseur des droits (.PDF) relevait « peu de différences de traitement selon l’origine supposée des patientes », en tout cas bien moins que les discriminations liées aux revenus.

Bien d’autres sources de discriminations existent en matière de santé. Le genre, dont nous avons parlé dans un précédent article : si vous êtes un homme ou une femme, la qualité des soins ne sera pas toujours la même. D’autres sont plus difficilement mesurables. L’âge, par exemple, induit bien souvent des différences de traitement, qu’il s’agisse des plus jeunes dont les craintes, les symptômes ou les demandes d’information ne sont pas toujours pris au sérieux par les professionnels de santé, ou bien les seniors qui peuvent souffrir du même manque de considération. Dans le domaine de la santé, 30 % des plus de 70 ans affirment en effet se sentir traités de manière injuste à cause de leur âge. L’orientation sexuelle, elle aussi, peut entraîner un traitement différent : de peur d’être stigmatisées, les personnes LGBT retardent plus souvent leur accès aux soins et s’en déclarent globalement moins satisfaites.

Quand l’accès aux soins manque d’accessibilité et d’adaptabilité

Enfin, un handicap, physique ou mental, continue encore trop souvent de ralentir – voire d’interdire – l’accès aux soins. Un rapport (.PDF) commandé par le gouvernement français en 2018 soulignait ainsi que les personnes ayant des limitations motrices, et en particulier celles en fauteuil, avaient en moyenne moins accès à des soins dentaires et gynécologiques. Les obstacles s’avèrent en effet nombreux : impossibilité d’accéder physiquement au cabinet, matériel non adapté au handicap, professionnel de santé peu formé aux particularités du handicap, etc. Sur ce dernier point, des projets, comme le site HandiConnect, commencent à faire bouger les lignes, proposant aux médecins des fiches pratiques pour communiquer avec un patient malentendant, gérer une consultation avec un polyhandicapé ou encore s’adapter aux particularités d’un patient autiste.

Car les troubles mentaux sont, eux aussi, sources de discriminations en matière de santé. Tout d’abord dans leur prise en charge, car souvent moins pris au sérieux que les autres pathologies : moins de la moitié des personnes souffrant de troubles mentaux ont reçu une aide médicale dans l’année. Mais leurs autres maladies, physiques cette fois, sont également moins bien prises en charge (jusqu’à 50 % moins pour les schizophrènes, par exemple) pour tout un faisceau de raisons liées à leur handicap (à lire, notre focus sur le sujet de la stigmatisation et des discriminations des personnes atteintes de troubles mentaux).

Pour ne pas conclure sur un tableau trop sombre, il faut tout de même rappeler que le point commun à toutes ces discriminations reste la faible proportion de cas problématiques. Dans leur grande majorité, les médecins ont en effet à cœur de traiter tous leurs patients de manière égale, sans distinctions. Dans ce domaine, le système médical français s’avère en avance sur de nombreux pays, même s’il reste perfectible.

 

— Se défendre —

 

Quel que soit le motif de discrimination, sachez que le site de l’Assurance maladie fournit toutes les informations et documents nécessaires pour porter plainte contre le professionnel de santé incriminé.

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