Il n’existe pas une, mais des résiliences, explique le psychiatre Serge Tisseron dans ce nouvel épisode de notre postcast. Revenant sur l’évolution du concept, il nous invite avec pédagogie à en découvrir les apports tout autant que les limites, et en déplore l’usage un peu trop édulcoré à son goût. Surtout, il insiste sur la nécessité de penser la résilience dans sa dimension collective, et non plus seulement individuelle.

Serge Tisseron est psychiatre et docteur en psychologie, membre du Conseil Scientifique du Centre de recherches psychanalyse, médecine et société à l’Université Paris VII Denis Diderot. Ce passionné d’’images a réalisé sa thèse de médecine, en 1975, sous la forme d’une bande dessinée (PDF) consacrée à l’histoire de la psychiatrie. Il n’a cessé, depuis, d’interroger les relations que nous établissons avec les diverses formes d’images, la télévision, la photographie ou encore le cinéma, et s’est particulièrement intéressé aux conséquences des images violentes sur les enfants.

Dans un livre intitulé « La résilience« , paru en 2007 (et bientôt ré-édité, en juin 2021) aux Presses Universitaires de France dans la collection Que sais-je, Serge Tisseron revient sur l’histoire du concept, popularisé par Boris Cyrulnik et très médiatisé en France depuis la fin des années 90. Il en propose une analyse critique, dans laquelle il passe en revue tous les usages du mot et écorche, au passage, l’image d’Epinal du « résilient-souriant-bien-dans-sa-peau ». Car, selon l’auteur, si l’idée de résilience incarne une aspiration essentielle à l’être humain – celle de « faire d’un événement traumatique, individuel ou collectif, un nouveau départ », il ne faut pas faire de ce processus et de cette force « le remède miracle qui transforme la blessure en nouvelle richesse », ni la réduire à « une sorte d’immunologie psychique qui protégerait un sujet des traumatismes, un peu comme une vaccination met à l’abri des risques d’infection » (Libération, 2007). Il pourrait être dangereux de ranger sous un même vocable des phénomènes psychiques variés, et de sous-estimer les effets à retardement des traumatismes, y compris chez des personnes que l’on pensait résilientes.

 

Vous avez dit résilience, résiliance ou Résilience ?

 

 

Serge Tisseron propose d’écrire différemment les trois significations successives de ce mot : « résilience » quand il s’agit d’une qualité, « résiliance » avec un « a » pour la résilience comme processus, et  « Résilience », avec un « R » majuscule pour désigner la force qui nous permet de négocier avec les ruptures de l’environnement et les bouleversements intérieurs qui en résultent.
« Après avoir distingué ces trois significations sous trois orthographes différentes, nous pouvons les réunir dans une formule étrange à l’oreille, mais parfaitement claire aussitôt que nous la voyons écrite : « La Résilience favorise la résilience grâce à la résiliance. » Autrement dit : « La Résilience comme force favorise les qualités individuelles de résilience grâce à la résiliance envisagée comme un ensemble de processus collectifs au sein d’un groupe. » Et nous pouvons écrire tout aussi bien : « La résiliance favorise la résilience grâce à la Résilience », ou encore : « La résilience favorise la résiliance grâce à la Résilience. » Ces trois définitions sont maintenant complémentaires et définissent un système résilient » (La résilience).

Dans un volet plus sociologique, voire militant, Serge Tisseron met en garde contre une société dont le but ne serait plus « d’apporter à chacun l’eau courante, des logements salubres, la démocratie et un travail digne, mais… la « résilience » ! ». Cette question du lien entre résilience et modèles de société est abordée en détail par les psychologues Amira Karray et Daniel Derivois dans un article de The Conversation paru en 2020 : « plus les populations vivent dans des environnements sécurisés, moins la résilience est mise en avant pour penser leurs stratégies mobilisées en cas de grandes difficultés. Plus le contexte est précaire, plus la résilience est mise en relief ».
Pour Serge Tisseron, la résilience authentique ne peut être que collective et basée sur la création des liens, l’information mutuelle et les responsabilités partagées. Pour insister sur cette dimension collective, il a proposé de remplacer le mot de résilience par celui de co-résilience impliquant toujours une communauté et, au-delà, la planète entière.

 

 

Institut pour l’Histoire et la Mémoire des Catastrophes

 

 

Je vous invite à consulter le site internet de l’Institut pour l’Histoire et la Mémoire des Catastrophes créé par Serge Tisseron : memoiresdescatastrophes.org. Cet institut a pour objet de travailler sur la mémoire des événements perçus comme des catastrophes, que leur origine soit naturelle, sanitaire, technologique, économique, ou liée à des actes de terrorisme, afin de favoriser leur appropriation dans la mémoire individuelle et collective. Pour Serge Tisseron, la connaissance des catastrophes qui ont frappé les générations précédentes, et de la façon dont elles y ont fait face, constitue la première des étapes pour affronter les drames de l’avenir et pour préparer la résilience des générations futures.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Séismes identitaires, trajectoires de résilience. Une clinique de la mondialité
Un article de Daniel Derivois, professeur des universités en psychopathologie et psychologie clinique à l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Il conduit des recherches sur le traumatisme, la résilience et les problématiques identitaires. Il a assuré la responsabilité scientifique de plusieurs recherches sur le traumatisme et la résilience sur les victimes de catastrophes naturelles ou de violences conjugales. Dans le champ de la protection de l’enfance, il intervient auprès d’enfants et d’adolescents fragilisés dans les familles et les institutions.

L’école peut-elle être facteur de résilience ?
Marie Anaut est professeure d’université (Universite Lumiere Lyon 2), psychologue clinicienne et thérapeute familiale.
Elle est spécialiste de la résilience dans un cadre scolaire et familial. Ses travaux et publications concernent en particulier les processus de résilience sous des aspects théoriques et cliniques et les liens parents-enfants.

Stress post-traumatique : Nouvelles pistes pour comprendre la résilience au trauma
Cette étude a pour objectif de mieux connaître la construction et l’évolution de la mémoire, individuelle et collective, des événements traumatiques, mais également de mieux comprendre les facteurs protégeant les individus du stress post-traumatique.

Un merveilleux malheur
Le livre de Boris Cyrulnik qui a fait connaître le concept de résilience au grand public en France : « …résilience, qui désigne la capacité à réussir, à vivre, à se développer en dépit de l’adversité. En comprenant cela, nous changerons notre regard sur le malheur et, malgré la souffrance, nous chercherons la merveille » (Boris Cyrulnik)

Là où le bonheur se respire
Un roman de Sophie Tal Men. Dans ce nouveau roman (mars 2021), inspiré de son quotidien à l’hôpital, « Sophie Tal Men explore avec passion l’univers des parfums et nous fait prendre le large avec une bouleversante histoire d’amour et de résilience qui nous fait du bien ».

 

Crédits

Interviews, décryptages d’études médicales et scientifiques, questions d’actualité, témoignages et conseils, dans Les voix de la prévention, les acteurs de la santé nous expliquent les enjeux de la prévention.

Podcast : © Apivia Prévention & Ethnomedia
Auteur : Jean-Christophe Moine
Son : David Trecos