Les filles aiment le rose et, lorsqu’elles deviennent grandes, elles pleurent de bonheur quand elles ont un bébé, qu’elles allaitent dans une allégresse proche de l’extase. Voilà pour la fable, qui a la vie dure malgré les évidences. Car si l’expérience de donner la vie est merveilleuse, elle fait aussi vivre aux femmes des changements qui peuvent déstabiliser la santé mentale de certaines. Un fait qui peine toujours à être vraiment reconnu.

Un corps malmené par les transformations post-natales

Après l’accouchement, les femmes vivent des expériences corporelles inédites. Le séisme hormonal, dont le top départ est donné par l’expulsion du placenta, va rythmer ses changements physiologiques et anatomiques pendant plusieurs semaines.

Durant les premiers jours, les seins sécrètent du colostrum, ce liquide riche en acides gras, vitamines, protéines et cellules immunitaires qui aident le nouveau-né à se défendre lorsqu’il arrive dans son nouveau monde peuplé de microbes. Au contact du bébé, les seins se gorgent de lait et gonflent : la sensation qu’ils vont exploser, les mamelons douloureux, ne durent fort heureusement que quelques jours.

Des pertes vaginales qui ressemblent à des règles abondantes, les lochies, faites de résidus utérins, de débris de membrane placentaire et de mucus cervical – une substance visqueuse servant à sceller le col de l’utérus pendant la grossesse -, s’écoulent pendant une période de deux à six semaines après l’accouchement. Pendant cette période, l’utérus retrouve sa taille habituelle et le fait sentir…

Bref, si l’on s’en tient aux effets sur le corps, les mois qui suivent la naissance ne sont pas toujours une partie de plaisir. Constipation, fuites urinaires, hémorroïdes, ventre mou, sécheresse vaginale, sans parler des soins que nécessitent une épisiotomie ou un accouchement par césarienne,  complètent un tableau déjà chargé, qui peut laisser maman dans un désarroi total… La sage-femme Anna Roy rappelle d’ailleurs qu’il ne faut jamais hésiter à être accompagnée pendant cette période (la Sécurité sociale rembourse cinq consultations de sages-femmes libérales) et qu’il est indispensable de se reposer pour récupérer.

La confusion des émotions : du baby-blues à la dépression

Cet orage hormonal n’est pas étranger au baby blues de courte durée qui soumet environ 60% des femmes à un yo-yo émotionnel qui les fait passer, pendant quelques jours, d’un bonheur sans mot à un désespoir sans fond. Entre rires, larmes, irritabilité, angoisse face aux nouvelles responsabilités, l’expérience est intense, épuisante, mais sans gravité, disent les médecins. Le bonheur d’avoir donné la vie compense généralement ce Grand Huit émotionnel.

Cependant, ce baby blues, parfois un peu moqué, n’est pas à systématiquement « balayer d’un revers de la main », estiment certaines femmes pour lesquelles « la difficulté maternelle n’a rien d’insignifiant ». Ni pour les pères d’ailleurs, qui peuvent aussi, dans une certaine mesure, ressentir ce blues post-naissance.

Pour certaines femmes, un accouchement traumatisant, des douleurs post-partum intenses, la solitude, un manque chronique de sommeil, une tendance à l’anxiété, voire la dépression, peuvent faire de cette période une épreuve psychologique qui se prolonge et a des effets durables plus graves qu’un baby blues transitoire. Selon les sources, 10 à 20% des femmes font une dépression post-partum qui nécessite une prise en charge psychologique. D’une profonde tristesse à un refus de s’occuper de son enfant, en passant par une dévalorisation de son rôle parental, un épuisement permanent, une absence de plaisir, les symptômes d’un effondrement psychique doivent rapidement alerter et faire consulter un médecin. Une dépression post-partum peut en effet altérer durablement la santé mentale des femmes qui en sont victimes, et conduire certaines d’entre elles au suicide. Bien qu’exceptionnel (35 cas sur la période 2015 à 2017), il représente la deuxième cause de mortalité maternelle, après les maladies cardiovasculaires.

Si ces symptômes ne sont pas traités, ils peuvent aussi avoir des répercussions négatives sur le développement cognitif, social et affectif de l’enfant (source en en anglais). Dès 2022, un entretien systématique effectué par un médecin traitant ou une sage-femme autour de la cinquième semaine après l’accouchement, permettra de dépister les dépressions post-partum. Il s’agit d’une première avancée sur un sujet qui mérite des adaptations importantes de notre société.

Un trouble extrême  : la psychose puerperale

Enfin, la psychose puerperale est un trouble psychiatrique grave, survenant la plupart du temps quelques jours après l’accouchement, et se manifeste par des hallucinations et une déconnexion de la réalité. « C’est très impressionnant car c’est inattendu, c’est souvent un coup de tonnerre pour l’entourage », explique le Pr Wissam El Hage. La mère, qui peut être dangereuse pour elle et son enfant, doit être rapidement conduite à l’hôpital. Elle est heureusement rare et ne touche qu’une mère toutes les mille naissances.

Des numéros d’urgence pour appeler à l’aide !

En France, Allo Parents Bébé (0 800 00 3456) est un Numéro Vert National, anonyme et gratuit, d’aide et de soutien à la parentalité, mais joignable uniquement de 10h à 13h et de 14h à 18h, contrairement au numéro d’urgence 24/24 mis à disposition par nos cousins d’outre-Atlantique. Certaines situations de détresse (idées suicidaires, maltraitance) nécessitent, en effet, une prise en charge rapide. L’entourage ne doit pas hésiter à contacter un service d’urgence psychiatrique en cas de violence et de mise en danger.

Le site du réseau Maman Blues regorge d’infos. Les mères trouvent conseils, solidarité et réconfort sur la page Facebook de l’association.

Une société avec des œillères face aux détresses post-partum

Si une détresse psychologique modérée ou une dépression plus sévère restent sous-diagnostiquées, c’est peut-être que les sentiments et émotions négatives qui peuvent assaillir une femme après l’accouchement sont encore tabous. Ni elle, ni son entourage, ne veulent avouer, ou même penser, que l’aventure peut être déstabilisante, voire douloureuse. Plus la représentation d’une mère comblée et heureuse est valorisée, plus le sentiment d’être complètement dépassée et incompétente est fort chez les femmes qui ne se reconnaissent pas dans cette image : face à la pression sociale, elles ne se permettent d’avouer à personne leurs pensées intimes. Comme Carole, qui se disait que c’était mieux quand son enfant n’était pas là. Comme Fabienne, qui détestait allaiter. Comme Néottie, qui ne supportait plus qu’on lui dise qu’elle avait « tout pour être heureuse » (source : neonmag.fr).

Or, il n’y a aucun mal à ressentir des émotions contradictoires. Une femme peut être heureuse et se sentir épuisée. Elle peut être remplie d’amour pour son bébé et se sentir désespérée. Aujourd’hui, femmes et hommes doivent s’autoriser à remettre en question une approche de la parentalité qui enferme les nouvelles mères dans un rôle parfois intenable, un idéal normé, un modèle de la mère parfaite, génitrice irréprochable et radieuse (sic), qui ne font qu’aggraver les sentiments ambivalents et la détresse qu’elles peuvent ressentir à l’arrivée de leur bébé. La psychiatre américaine Alexandra Sacks milite pour faire reconnaître l’idée que le moment de la première naissance est aussi celui de « la naissance d’une mère », ce que les anthropologues appellent la matrescence (Dana Raphael, 1973). La plupart des nouvelles mères, écrit-elle dans un article paru dans le New York Times, vivent un moment complexe et « éprouvent de l’inquiétude, de la déception, de la culpabilité, de la compétition, de la frustration et même de la colère et de la peur ». Ce processus n’est pas anormal et se produit à chaque naissance. Il serait même, à plusieurs égards, utile. D’abord, il marquerait un passage progressif entre le fantasme et la réalité : « le baby blues permet une re-descente en douceur, vous offre un petit sas », explique le psychanalyste Moussa Nabati, « il évite qu’une nostalgie qui ne se serait pas exprimée sur le moment resurgisse plus tard ». Ensuite, il installerait la mère dans une hyperémotivité, une sensibilité à fleur de peau, propice à l’attention exacerbée qu’elle va porter au moindre signe de son enfant.

La plupart des mères ne vivront qu’un « léger » blues, qui ne perturbera guère leur bonheur et leur épanouissement. Mais l’événement heureux et enchanteur de la naissance, cette allégresse intime et sociale, ne doit pas faire négliger le désarroi plus ou moins marqué de certaines femmes, victimes d’un tourbillon émotionnel et physiologique perturbant, pouvant parfois conduire à une dépression. Cette matrescence problématique doit être exprimée et entendue. Car on ne naît pas mère, on le devient, même après plusieurs enfants, selon autant de chemins qu’il y a de vies.

POUR ALLER PLUS LOIN

• Podcast : La Matrescence
La Matrescence, c’est le podcast qui parcoure la vie des parents ou futurs parents, pour leur donner des outils, des clés, grâce à des interviews de professionnels et des témoignages de parents. Créé par Clémentine Sarlat, ce podcast part du constat que trouver des informations claires et faciles sur ce que vit une femme et, par extension, un homme, lors de la découverte de la parentalité, était plus que fastidieux. Ici, c’est simple, on se laisse bercer au son de la voix des invités.

Texte : © J.-C. Moine / Ethnomedia
Photo : © VectorRocket/Adobe Stock