Parmi les multiples systèmes de classification sanguine connus aujourd’hui, le système ABO et le système Rhésus restent les plus importants en médecine courante. Décryptage.

La surface de nos cellules héberge une panoplie d’antigènes, des molécules jouant un rôle essentiel dans la reconnaissance par le système immunitaire des cellules propres à notre organisme. Des antigènes spécifiques, appelés agglutinogènes, se situent sur les globules rouges et déterminent les divers groupes sanguins. Parmi plus de 300 antigènes recensés formant 44 systèmes de groupes sanguins identifiés, les deux plus connus demeurent le système ABO et le système Rhésus, aujourd’hui plus volontiers appelé « système Rh ». Après des millions d’années d’évolution, à l’origine de la diversité des groupes sanguins chez les individus, et 120 ans de découvertes significatives, ces systèmes de classification conservent encore bien des mystères à dévoiler.

L’étude passionnante des groupes sanguin est évidemment essentielle en médecine, mais elle participe aussi à une meilleure connaissance des origines de la diversité génétique des populations humaines. Une récente étude sur les groupes sanguins des Néandertaliens permet, par exemple, de mieux comprendre les métissages inter-espèce, les migrations de populations et la santé de ces lignées humaines durant la préhistoire.

Dans le système ABO, découvert au début du XXe siècle, les groupes sanguins sont déterminés par la présence ou l’absence des antigènes A et B. Les individus du groupe A (environ 44 % des Français) possèdent l’antigène A à la surface de leurs globules rouges. Les personnes du groupe B (10 %) ont des antigènes de type B. Celles du groupe O (42 %) n’ont ni antigène A, ni antigène B. Et enfin, le groupe AB (4 % de la population), concerne les individus qui possèdent à la fois les antigènes A et B.

Parallèlement, le système Rh tient compte de la présence ou de l’absence d’autres antigènes. Parmi les différentes variétés connues ( D, C, c, E, e…), l’antigène D se révèle déterminant pour classifier un individu en tant que Rh positif (lorsque ses globules rouges portent l’antigène D) ou Rh négatif (lorsque ses globules rouges n’en sont pas pourvus). Le statut Rh positif prédomine nettement, touchant environ 85 % de la population, tout en présentant certaines variations.

L’association entre le système ABO et le système Rh permet de définir précisément huit groupes sanguins distincts, tels que A positif (A+), B négatif (B–), AB positif (AB+), et ainsi de suite. Cette combinaison est adéquate dans la plupart des situations médicales courantes, assurant la compatibilité transfusionnelle chez neuf individus sur dix. Ces informations sont complétées par la recherche d’autres antigènes, comme l’antigène K du système Kell, moins répandu, mais capable d’exposer à des risques sérieux les individus lors de transfusions sanguines et les fœtus pendant la grossesse.

La compatibilité des groupes sanguins est essentielle lors de transfusions sanguines

Chaque individu détient une immunité innée contre l’antigène du système ABO absent de la surface de ses propres globules rouges. Les personnes de groupe A produisent des anticorps anti-B, tandis que celles de groupe B produisent des anticorps anti-A. Les personnes de groupe O synthétisent à la fois des anticorps anti-A et anti-B. Les individus de groupe AB ne développent pas d’anticorps naturels dans le système ABO. Ainsi, un transfert sanguin de groupe B à un receveur de groupe A, et vice versa, déclencherait une réaction immunitaire immédiate et sévère, endommageant les globules rouges du receveur, et entraînant des conséquences potentiellement dramatiques, notamment pour les reins.

Les individus du groupe AB+, possédant les antigènes A, B et RhD sur leurs globules rouges, ne risquent pas de rejet immunitaire et sont considérés comme des « receveurs universels ». Mais du fait de leur profil sanguin spécifique, ils ne peuvent donner leur sang qu’à d’autres personnes du même groupe AB+. À l’inverse, les personnes du groupe O– ne portent ni l’antigène A, ni le B, ni le facteur Rh. Leur sang contient tous les anticorps susceptibles de provoquer une réaction immunitaire s’ils reçoivent du sang d’un autre groupe. Grâce à cette spécificité, leur sang ne déclenche généralement pas de réactions immunitaires chez la plupart des receveurs, car il ne contient pas d’antigènes susceptibles d’être reconnus comme des agents étrangers par le système immunitaire du receveur. Le groupe O– est souvent utilisé en situation d’urgence, étant considéré comme un « donneur universel », lorsque le groupe sanguin du receveur n’a pas été déterminé.

En dépit de l’absence d’une réponse immunitaire naturelle contre les antigènes Rh, une exposition à l’antigène RhD peut engendrer la production d’anticorps anti-D dans le sang. C’est pourquoi le respect de la compatibilité RhD est impératif lors des transfusions sanguines. Un donneur présentant l’antigène RhD (Rh positif) ne peut pas donner son sang à un receveur ne le possédant pas (Rh négatif). La logique du système Kell, abordé brièvement ici, partage des similitudes avec le système Rh en matière de compatibilité et de transfusion sanguine.

Tableau de compatibilité des groupes sanguins, ©donneurdesang.be

La différence de facteur Rh entre la mère et le fœtus peut poser des défis médicaux importants

Lorsque la mère est Rh– et le père Rh+, la grossesse fait l’objet d’une prise en charge spécifique, car il existe une probabilité de 50 % que le fœtus hérite du rhésus du père. Or, si des globules rouges du fœtus, porteurs d’antigènes D, passaient dans la circulation maternelle, le système immunitaire de la mère produirait des anticorps anti-D capables de s’attaquer ensuite aux globules rouges du fœtus. On parle d’incompatibilité rhésus. Elle n’est généralement pas problématique lors de la première grossesse, dans la mesure où, sauf en cas d’incident, le sang du fœtus n’entre normalement pas en contact avec celui de la mère. Et même quand la situation se produit, à la suite d’un traumatisme abdominal, d’une biopsie du placenta ou d’une amniocentèse, par exemple, la réaction immunitaire de la mère n’est pas immédiate et le placenta agit comme une barrière protectrice efficace.

L’incompatibilité rhésus est en revanche problématique lors des grossesses ultérieures, si le système immunitaire de la mère a été sensibilisé une première fois à des antigènes D, et si elle porte à nouveau un enfant de rhésus positif. Sa mémoire immunitaire, acquise notamment au moment d’un précédent accouchement, rend ses mécanismes de défenses beaucoup plus puissants et renforce la capacité de ses anticorps anti-D à traverser le placenta et à atteindre le fœtus. La destruction des globules rouges chez le fœtus peut provoquer une anémie sévère, entraînant des complications graves telles que des anomalies du rythme cardiaque, des atteintes neurologiques et des troubles potentiellement mortels, pendant la grossesse et en période néonatale (maladie hémolytique).

Dans les pays disposant de systèmes de santé avancés, le risque qu’une telle situation se produise a été quasiment éradiqué. En cas de suspicion d’incompatibilité rhésus, on prévient ses effets potentiels en administrant à la mère des immunoglobulines anti-D à la 28ème semaine de grossesse, ainsi qu’après tout épisode de saignement vaginal ou intervention chirurgicale pendant la grossesse. Ce traitement préventif est proposé à toutes les femmes Rh-, y compris lors d’une première grossesse, par précaution. Il vise à éliminer précocement les globules rouges qui pourraient passer du fœtus à la mère, en utilisant les anticorps anti-D pour tromper le système immunitaire maternel et l’empêcher de produire ses propres anticorps. Cette approche préventive est également appliquée dans les 72 heures suivant la fin de la grossesse en cas de confirmation d’un bébé de Rhésus négatif.

Aujourd’hui, l’injection d’immunoglobulines anti-D peut être réalisée après avoir déterminé le rhésus du fœtus, une procédure facilitée par un génotypage sanguin effectué à partir d’une simple prise de sang maternel. En France, ce test, recommandé depuis 2011 par la Haute Autorité de Santé, est accessible à toute femme enceinte de groupe rhésus négatif.

Crédits

Texte : JC Moine / Ethnomédia 

Image : freepik.com