L’idée que des culturistes raffolent du soi-disant nec plus ultra des énergisants, du lait maternel acheté sous le manteau, a de quoi laisser perplexe. Et quid de ce bar de Tokyo, où des adultes un tantinet régressifs boivent au sein des serveuses ? Plus sérieusement, quelles sont les vertus du lait maternel ?

Une réticence française ?

Durant des siècles, la noblesse a eu recours à des nourrices, puis les gens des villes envoyèrent leurs enfants respirer le bon air de nos campagnes et téter des fermières. Dans les années 1950, Simone de Beauvoir qualifia l’allaitement de « servitude épuisante », entraînant tout un pan du féminisme, alors que d’autres courants, par exemple dans les pays nordiques, voyaient dans cet acte naturel l’expression d’un pouvoir unique.

Carte postale ancienne "La nourrice" Carte postale ancienne « La nourrice »

De nos jours, les autorités sanitaires martèlent que le lait maternel est la meilleure des alimentations possibles dans la prime enfance, et en font un enjeu de santé. Mais les Françaises allaitent toujours peu, comparé aux Scandinaves par exemple. Au-delà des considérations culturelles ou idéologiques, l’explication est prosaïque : si vraiment l’allaitement est essentiel, on peut déplorer que l’effort public n’ait pas été suffisant pour informer la société, accompagner les mères et adapter le monde du travail aux exigences de cette pratique.

Bien souvent, les Françaises qui ont fait le choix de l’allaitement y renoncent à la fin de leur congé maternité parce que cela devient matériellement trop compliqué. Il suffirait pourtant de quelques temps de pause, d’un espace adapté à l’utilisation d’un tire-lait et d’un frigo pour permettre aux femmes de reprendre leur activité professionnelle, tout en offrant à leur bambin une alimentation au lait maternel. Le contact bouche à téton et ventre à ventre joue certes un rôle dans la construction de la relation parentale, mais à défaut, si l’on a bien compris, le bénéfice fondamental de l’allaitement réside dans l’aliment.

Le régime idéal

Si la plupart des études confirmant l’intérêt du lait maternel prennent la précaution du conditionnel, l’Organisation mondiale de la santé promet franchement monts et merveilles. Selon elle, l’idéal serait de commencer l’allaitement au plus tard dans l’heure qui suit l’accouchement, de ne nourrir et de n’hydrater l’enfant que de cette manière, à la demande, pendant six mois. L’OMS conseille aussi de maintenir l’allaitement, par exemple matin et soir, jusqu’à l’âge de 2 ans, assorti bien sûr d’une alimentation complémentaire.

Du point de vue nutritionnel, le lait maternel comporte absolument tout ce qu’il faut au nouveau-né pour lui assurer un développement optimal durant les premiers mois : il est riche en nutriments et bien sûr en eau, ce qui explique que pour éviter tout risque de contamination, on recommande l’allaitement exclusif et surtout pas de biberons d’eau. Le fait est que le lait maternel pris au sein ne nécessite aucune stérilisation, qu’il arrive à la température idéale, sans compter qu’il ne coûte rien, contrairement à ses succédanés industriels, dont l’usage est, tout bien considéré, plus contraignant qu’il y paraît.

Publicité ancienne pour les bières de nourrice

Les bons ingrédients au bon moment

Précisons que le lait maternel est très changeant. Son goût varie au gré de ce que mange la maman : c’est sans doute une expérience sensorielle pour le bébé, et la première pierre à son futur régime alimentaire diversifié. Surtout, la composition du lait varie dans le temps, non seulement au fil des semaines, mais aussi en fonction de l’heure de la journée et même entre le début et la fin d’une tétée.

Le colostrum des tout premiers jours est particulièrement chargé d’anticorps et de prébiotiques, notamment des sucres rares qui participent à la croissance d’une flore intestinale protectrice, ainsi que de nombreux facteurs de défenses immunitaires, des hormones et des globules blancs.

Progressivement, du lait de transition au lait mature, la teneur en nutriment va augmenter, comportant plus de lipides, moins de sels minéraux et toujours peu de protéines, encore mal assimilées. Le volume va aussi augmenter pour répondre au besoin grandissant du bébé. Comparé au lait de vache, le lait humain est presque aussi énergétique et gras, plus sucré et il comporte moins de protéines et de sels minéraux. Il n’en est que plus digeste et moins pesant sur les reins encore fragiles des nouveau-nés.

Au cours, d’une journée, les apports des différents nutriments varient : plus de lipides disponibles à midi, plus de protéines le soir, plus ou moins des différents sucres en fonction de l’heure. Instinctivement, le bébé allaité à la demande va ainsi adapter sa consommation à ses besoins. C’est d’autant plus frappant que la composition du lait varie aussi d’un bout à l’autre de la tétée. D’abord de l’eau et des sels minéraux pour désaltérer le bambin, puis, s’il insiste, de plus en plus de glucides, de protéines et finalement des lipides en masse, qui vont apporter le sentiment de satiété.

Le premier des vaccins ?

Études à l’appui, il semblerait que l’allaitement aide à protéger l’enfant de nombreuses maladies, aussi bien intestinales qu’ORL ou respiratoires, et même du syndrome de mort subite du nourrisson. L’efficacité de l’allaitement semble telle, qu’en Afrique, dans la prévention des diarrhées, on préfère qu’une mère porteuse du virus VIH soit soignée par antirétroviraux et allaite, le risque de transmission du sida étant largement inférieur à celui de mortalité par diarrhée.On présume aussi que l’allaitement exclusif pendant plusieurs mois réduit significativement les risques d’allergies, d’asthme ou d’eczéma. Des travaux suggèrent que le lait maternel réduit les risques d’obésité, et même de diabète insulinodépendant.

On reste beaucoup plus dubitatif sur une corrélation faite entre quotient intellectuel, scolarité, épanouissement à l’âge adulte et lait maternel… Admettons que l’allaitement procure un certain bénéfice cognitif et moteur, il faudrait savoir s’il résulte des vertus intrinsèques du lait ou de la proximité stimulante entre la mère et le bébé. Difficile de trancher.

Vital pour les prématurés, salutaire pour les mères

Dans un cas de figure au moins, la question d’une alimentation au lait maternel ne fait pas de discussion : celui des prématurés, bien plus fragiles que la moyenne. Pour eux, qui ne sont pas toujours capables de téter, ce lait est à la fois le seul aliment qui vaille et un véritable traitement préventif. C’est pour eux que l’on a constitué en France un réseau de lactarium, qui ne recueille hélas pas autant de dons de laits maternels qu’il en faudrait pour répondre au besoin.

Quant aux adultes, les seuls qui puissent bénéficier de l’allaitement sont les mamans qui le pratiquent ! Le conditionnel est aussi de rigueur, mais l’on pense que le fait d’allaiter suffisamment longtemps réduirait les risques de cancer du sein et de l’ovaire ainsi que de maladies cardiovasculaires et de diabète. Cela favorise en tout cas la perte des kilos pris durant la grossesse, et le retour de l’utérus à sa taille et sa forme habituelles.

Face aux pressantes incitations à allaiter, que les mères qui ne peuvent ou ne souhaitent pas le faire ne se laissent pas culpabiliser : les laits infantiles du commerce ne comportent certes pas d’anticorps et autres éléments bioactifs protecteurs, mais ils imitent de mieux en mieux la composition du lait maternel et pourvoient aux besoins nutritionnels des nourrissons.

POUR ALLER PLUS LOIN

• Le très riche centre de documentation de La Leche League
• Le guide de l’allaitement maternel de santé publique France (PDF)

Crédits

Photo : © GTeam / Fotolia.com