Le laboratoire pharmaceutique qui produit le Cialis, un concurrent du Viagra, rêve de le vendre sans prescription médicale. Le pari, audacieux, ne semble pas près d’aboutir. Explications.

Avant le Viagra, la médecine semblait désarmée face à « l’impuissance », un mot lourd de sens pour les hommes au pénis récalcitrant.
Depuis bientôt quinze ans, grâce à la fameuse pilule bleue et ses émules, Cialis, Levitra ou le récent Spedra, on parle plutôt de « dysfonctionnement érectile ». On a ainsi intégré le fait qu’il ne s’agit pas d’une incapacité honteuse, mais d’un trouble physique quelconque et dans bien des cas réversible.

Un double bienfait pour « l’hommanité »

Cela est entendu, l’apparition de traitements chimiques a changé l’existence de millions de personnes. A la marge, elle a même sauvé des vies. En effet, les molécules dont il est ici question ne sont distribuées – en France – que sur prescription médicale, or, nombre des messieurs qui consultent pour un souci d’érection découvrent à cette occasion qu’ils ont surtout un problème cardio-vasculaire en amont.

N’en déplaise aux machos, le sexe des hommes est en droite ligne avec leur coeur… Si « pépère » ne se raidit plus, si les corps caverneux ne se gorgent pas de sang au moment opportun, c’est souvent parce qu’à l’autre bout du circuit, la pompe est défaillante. C’est moins voyant, mais bien plus grave. Pour la petite histoire, rappelons que les recherches dont résulte le Viagra portaient sur les angines de poitrine et que cette famille de médicaments traite aussi bien l’hypertension pulmonaire que l’apathie du zizi.

Revenons-en à nos érections. Quand ce n’est pas le myocarde ou les artères qui trahissent un homme au comble du désir, la difficulté peut venir de son système nerveux, d’un frein psychologique, d’une particularité physiologique ou, entre autres causes, des complications du diabète. Toutes choses que ni le Viagra ni ses homologues ne sauraient traiter, mais qu’un médecin se doit de dépister avant de prescrire. Rien que pour cela, on se réjouit que les hommes, dont on sait comme ils rechignent à consulter, aient enfin trouvé une motivation assez forte. En tout état de cause, ils n’ont pas le choix : sans ordonnance, point de cachets.

La tentation d’inonder le marché « grand public »

En mai dernier, le laboratoire Eli Lilly qui produit le Cialis, a cependant annoncé un accord mondial avec le groupe Sanofi visant à la commercialisation de ce médicament sans passer par la case médecin. Certains ont été un peu vite en besogne en donnant la chose pour acquise, car les labos pharmaceutiques ne sont pas libres de vendre ce qui leur plaît, reste que leur intention est claire. Sur un marché d’autant plus concurrentiel qu’il s’est ouvert aux génériques, les enjeux économiques sont colossaux. De là à ne plus voir le patient que comme un consommateur en lui mettant à disposition des « boîtes d’érections » comme des bonbons pour la toux, en libre accès en pharmacie ou même en grande surface, il n’est sans doute qu’un pas… On doute que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm), l’autorité compétente en France, donne son aval.

Le fait est cependant que dans les boutiques spécialisées et sur Internet, l’offre de stimulants sexuels plus ou moins efficaces et/ou toxiques est pléthorique, sans parler des médicaments contrefaits. Au mieux des placébos, au pire des principes actifs non identifiés. Dans ces conditions nous dira-t-on, automédication pour automédication, ne vaudrait-il pas mieux faciliter l’accès aux médicaments fabriqués par des entreprises ayant pignon sur rue et dûment contrôlées, plutôt que de laisser fleurir officines douteuses et escrocs ? D’un point de vue sanitaire, probablement pas.

Du priapisme à l’accident cardio-vasculaire

Il est fort à parier que ceux qui cèdent aujourd’hui à la tentation de produits vendus sous le manteau sur la promesse de performances sexuelles hors normes seraient les premiers clients de Cialis et consorts s’ils étaient en vente libre. On peut même imaginer qu’à des fins récréatives, ils cumuleraient la prise de ces authentiques médicaments avec celle de divers dopants, au risque d’interactions désastreuses. Ainsi, des hommes n’ayant aucun besoin d’un soutien médicamenteux pourraient finir raides comme Priape, dépendants d’un dangereux cocktail pour obtenir un semblant d’érection ou tout à fait morts. Pour le client légitime, qui voudrait juste en finir avec son dysfonctionnement érectile, l’équation sanitaire ne serait guère plus engageante. Bien content de ne pas avoir à évoquer ce sujet encore tabou, il ferait d’autant plus volontiers l’impasse sur tout suivi médical qu’en termes de prise en charge par la Sécurité Sociale, cela ne lui apporterait rien, s’agissant de médicaments dits « de confort ». Il aurait bien tort. On ne saurait trop l’inciter à consulter au moins une fois, car la voie médicamenteuse n’est ni la panacée, ni la seule issue. Ainsi, une récente étude australienne laisse à penser que chez nombre de patients, le retour à l’érection passe avant tout par une meilleure hygiène de vie et tout bêtement par le sport.

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