A LIRE DANS CE DOSSIER

Le nez rouge du clown, explique Jean-Bernard Bonange, le stigmatise comme « un personnage non sérieux, anormal, décalé [qui] établit avec le public une convention de jeu. […] Le clown peut intervenir en protestant avec véhémence et crédibilité, mais son nez rouge annonce la couleur à tous “c’est du jeu”. Il pose la base d’une véritable connivence » (Jean-Bernard Bonange, « Étude d’une pratique du clown contemporain dans la tradition du fou du roi : la clownanalyse », §15).
Cette connivence autorise tous les excès car le perturbateur est reconnu en tant que tel, et sollicité comme tel. En d’autres termes, il est autorisé à être le révélateur des non-dits, du latent, du refoulé, que l’on n’osait ou ne voulait exprimer.

Dans un EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), si le clown n’est pas strictement fou du roi, comme l’écrit encore JB Bonange, il « fait sûrement fonction de fou de l’institution, libérant, par son jeu, une énergie sociale que l’institution a tendance à comprimer ou à refouler » (§32). A la plus grande joie des résidents !

La catharsis évoquée précédemment se réalise ici dans le lâcher-prise que le jeu du clown provoque chez les personnes âgées. « De telles interventions permettent de créer de l’émotion, une émotion qui va alors devenir chez le résident un moteur susceptible de faire émerger le souvenir et de déclencher la parole et les échanges… ». Et il semble bien qu’en permettant l’expression des émotions, on améliore la communication et on réduise les troubles psycho-comportementaux des personnes âgées.

Récemment, au Canada, les clowns hospitaliers ont été accusés d’infantiliser les personnes âgées. Pour Florence Vinit, la peur de l’infantilisation est légitime, et il est donc important de mieux faire connaître le type d’interventions réalisées et ce qu’elles peuvent avoir de bénéfique pour les résidents. Ecoutons-la sur cette question :

Pour conclure ce dossier, ne perdons pas de vue que de grandes associations, telle que Le Rire médecin en France, peuvent compter aujourd’hui une centaine de clowns et plusieurs permanents pour organiser leurs activités. Mais d’autres associations plus réduites, en région, trouvent plus difficilement leur place. Certains de ces drôles manquent parfois de moyens, et leur talent a besoin d’être épaulé par une communication, des rencontres et un carnet de route plus adaptés à une logistique d’entreprise.

L’énergie dépensée par Malika Jeoffret pour Etoil’clown est rassurante :  elle montre qu’un nez rouge sait aussi faire preuve de pragmatisme et de vision à long terme, que le personnage fantasque qu’elle incarne nourrit son dynamisme sans jamais entraver son réalisme. Cinq centres hospitaliers font déjà confiance à Etoil’clown, les soutiens se multiplient et l’association vient de faire une demande pour devenir membre de la FFACH (Fédération Française des Associations de Clowns Hospitaliers). L’adhésion à cette fédération est en soi un gage de sérieux et de professionnalisme, car elle soumet les clowns hospitaliers au respect de critères rigoureux garants de la qualité de leur pratique.

— Devenir membre de la FFACH

Pour devenir membre, une association ou une fondation doit répondre à des critères et à des objectifs précis ainsi qu’aux engagements suivants : – consacrer principalement son activité à l’intervention régulière de clowns professionnels en structures de soins. Ceux-ci sont formés aux spécificités de cet environnement, rémunérés et déclarés ; – privilégier le bien être des patients, de leurs familles et des soignants ; – construire une collaboration pérenne avec les établissements hospitaliers, fondée sur la concertation et l’évaluation ; – mettre en place des interventions en duos, sauf circonstances inadaptées, un accompagnement artistique et psychologique pour les comédiens ; – établir des comptes selon les règles de la comptabilité générale.

Pour finir, Malika me pardonnera de la comparer aux « gens laids » dogon, ces bouffons rituels qui se moquent des convenances et se libèrent des normes sociales. Car chacun aura compris que, si ces bouffons tournent en dérision les conventions, ce n’est que pour mieux stimuler l’harmonie du monde. Ils ne s’élèvent au-dessus des hommes que « par détachement et par sagesse » (Eric Joly).

POUR ALLER PLUS LOIN

Si la pratique des clowns hospitaliers a encore fait l’objet de peu d’études et d’évaluations, le succès des interventions clownesques suscite l’intérêt des chercheurs et les recherches sur l’impact du clown se multiplient. Ces liens vous permettront de compléter votre connaissance sur ce sujet.
Liens
• Site internet de la Fédération Française des Associations de Clowns Hospitaliers (FFACH) ffach.fr/joomla/index.php/membres

• Site internet d’Etoil’clown
etoilclown.com

• Site internet du Rire médecin
leriremedecin.org

• Site internet de Jovia (Dr Clown)
jovia.ca/fr/

• Page web sur Florence Vinit, psychologue, professeure à l’Université du Québec, elle-même clown thérapeutique et co-fondatrice de Dr Clown (Jovia)
psychologie.uqam.ca/tous-les-professeurs/ficheProfesseur.html?mId=Vb78m5u0GFY_

• À quoi servent les clowns thérapeutiques et comment ils interviennent, par Florence Vinit sur repere.tv
repere.tv/?p=1327

• Site internet de Dream Doctors
dreamdoctors.org.il/eng/

• Site internet de Doctores de Alegria – Doctors of Joy
doutoresdaalegria.org.br

• Maison de Retraite Intercommunale des Abers – MRIA
Le clown relationnel auprès des résidants
maison-retraite-abers.com/votre-sejour/les-animations/actualites/108-le-clown-relationnel-aupres-des-residants.html


Bibliographie

Articles et ouvrages cités :

• Avelot Marc, « Avec le clown, l’enfant retrouve sa nature, l’imaginaire, le jeu », In : La santé en action, n°424, p. 41
inpes.sante.fr/SLH/pdf/sante-action-424.pdf

• Balandier Georges, Le pouvoir sur scènes, Paris, Fayard (éd. augmentée en 1992, puis en 2006)
Un bon résumé : histoire.presse.fr/actualite/infos/pouvoir-spectacle-01-02-1981-107841

• Bonange Jean-Bernard, « Étude d’une pratique du clown contemporain dans la tradition du fou du roi : la clownanalyse », In : Le Clown : Rire et/ou dérision ? [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 1999 Disponible sur Internet : <books.openedition.org/pur/1385>. ISBN : 9782753527119.

• Joly Eric, « Diffusion de trois cultes dans le sud du pays Dogon », In : Journal des africanistes, 64-2, pp. 3-38, 1994

Bibliographie complémentaire :

• Albert, « Israël : les clowns, membres à part entière du corps médical », sur CoolIsrael.fr, 19 septembre 2012
coolisrael.fr/5930/israel-les-clowns-membres-a-part-entiere-du-corps-medical

• Andrès Pascal, « La catharsis de l’angoisse par le clown », In : Enfances & Psy, 1/ 2009 (n° 42), p. 92-95
L’auteur :
Pascal Andrès intervient comme clown analyste dans différentes structures socioprofessionnelles, lors de séminaires de psychothérapie, de colloques médicaux, de psychanalyses de l’enfance et en entreprise. Il a enseigné le théâtre à des enfants et des adolescents pendant quinze ans.
Résumé :
Le nez rouge du clown dédramatise l’angoisse, notamment quand elle est palpable au sein de deux camps, parents et enfants, enfant et professeur, ou à travers le corps hésitant des adolescents. D’abord en position d’écoute ostensible, le clown s’imprègne de l’histoire et des mobiles cachés ou inconscients de chacun afin de révéler des lectures différentes d’une situation conflictuelle, endossant tour à tour le rôle des différents protagonistes. En improvisant un simulacre outrancier, le clown propose ainsi une création miroir qui vise une fonction cathartique de l’angoisse.
cairn.info/revue-enfances-et-psy-2009-1-page-92.htm . DOI : 10.3917/ep.042.0092

• Cézard Delphine, « Le Clown est-il un bouc émissaire ? », In : Têtes de turcs, boucs émissaires et souffre-douleur, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, 334 p, pp. 83-94.

• Grison Jacques , Mathieu Bernard , Nez rouges, Blouses blanches. 20 ans de Rire Médecin à l’hôpital
coll. Hors collection, Les Impressions nouvelles, 240 x 280 mm / 192 pages
Les auteurs :
Bernard Mathieu a été journaliste indépendant.
Jacques Grison est photographe, membre de l’agence Rapho.
Résumé :
Ce livre allie la fantaisie des clowns et la gravité des situations hospitalières. Composé en interaction par un écrivain (Bernard Mathieu) et un photographe (Jacques Grison), le texte lance les photos qui relancent le texte pour un tout effervescent et cependant respectueux des acteurs du drame que l’hospitalisation constitue pour un enfant et sa famille.
lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/nez-rouges-blouses-blanches/

• Hamann Jean, « Rire aux larmes », In : Le Fil, Université de Laval, Volume 48, numéro 272, mai 2013
lefil.ulaval.ca/articles/rire-aux-larmes-34829.html

• Lemoine Laurence, « Je suis clown à l’hôpital », sur psychologie.com, mars 2012
psychologies.com/Planete/Solidarite/Articles-et-Dossiers/Je-suis-clown-a-l-hopital

• Les maîtres du désordre
Dossier de présentation de l’exposition du Musée du Quay Branly, avril-juillet 2012
quaibranly.fr/uploads/tx_gayafeespacepresse/MQB_DP_LES_MAITRES_DU_DESORDRE.pdf

• Patch Adams, Docteur Patch Adams. Quand l’Humour se fait Médecin, éd. stanké, 2000

• Revue Culture clown
Rédacteur en chef : Jean-Bernard Bonange
Culture clown, revue, a été créée en 2000 par le CRCC ( Centre de Recherche sur le Clown Contemporain) initié par Le Bataclown et par un réseau d’acteurs et d’animateurs (de compagnies et d’associations dédiées au clown).
Chaque numéro est conçu comme un dossier ouvert et exigeant, un outil d’information et de réflexion, un espace d’échanges et de témoignages.
Culture clown s’adresse à tous les amateurs et professionnels, acteurs, metteurs en scène, formateurs qui, dans différentes structures, développent les pratiques de clown (que ce soit en formation, en spectacle, en intervention sociale…).
cultureclown.com/culture_clown_la_revue.htm

• Schenkel Isabelle, Le clown thérapeute, L’Harmattan, 2012
Résumé :
Le personnage du clown apporte ici des clés réflexives et pratiques aux professionnels de l’accompagnement.
Simonds Caroline , Le rire médecin. Journal du docteur Girafe, Bernie Warren, Pocket 2001

 

Crédits

Un reportage de Jean-Christophe Moine (photos, vidéos, texte)
Photographies d’illustration des interviews de Florence Vinit : © Jovia
Reproduction d’une peinture de José Disiderio Roybal : © Adobe Gallery

Toutes les photographies du reportage ont été réalisées au Centre Hospitalier de Saintonge.
Merci à tous d’avoir répondu favorablement à notre sollicitation.
Merci aussi à Tijani Smaoui pour sa relecture attentive.

Remerciements
Ce dossier a été réalisé grâce à la participation de :
• Centre Hospitalier d’Angoulême
• Centre Hospitalier de Niort
• Centre Hospitalier de Royan – EHPAD la Coralline
• Centre Hospitalier de Saintonge
• Etoil’clown
• Florence Vinit