Si la santé n’a pas de prix, les médicaments en ont un, le trou de la Sécurité sociale en dit quelque chose. Qui détermine le prix des nouveaux traitements ? Sur quelle base ? Dans quel but ? Le point sur un dossier sensible.

Selon qu’un médicament est remboursable ou non, son prix est librement défini par son fabricant ou réglementé au terme d’un processus très cadré, mais pas toujours transparent. Idéalement, seul le service médical rendu devrait compter. Dans les faits, c’est un peu plus compliqué…

Monsieur de La Palice en conviendrait : les médicaments ne sont pas des produits ordinaires, ou plutôt ils sont extraordinaires, en ce sens qu’ils améliorent nos vies, qu’ils en sauvent, mais aussi parce qu’en ces temps de libre concurrence, ils dérogent aux grands principes du commerce. Sur le marché ouvert de l’énergie, même les tarifs du gaz ou de l’électricité sont laissés à l’appréciation de leurs fournisseurs, mais sur celui des médicaments, ce n’est pas demain la veille que les fabricants feront ce qu’ils voudront. Encore que…

Un difficile équilibre

L’équation qui préside à la définition du prix d’un médicament est complexe (voir notre infographie). Elle doit tenir compte de l’intérêt des patients, qui ne sont pas en situation de choisir, et surtout de celui de la collectivité qui, par le biais des systèmes de protection sociale est, in fine le plus gros client des laboratoires pharmaceutiques. Bien sûr, ces derniers, qui, faut-il le rappeler, ont un but lucratif, doivent aussi y trouver leur compte. Vu les revenus mirobolants que dégagent certains géants du secteur, dont une bonne part s’envole en dividendes et dans le marketing plutôt que dans la recherche, on peut comprendre qu’ils n’aient pas bonne presse.

Certes, les labos ne sont pas des œuvres philanthropiques, mais il convient de souligner que leur juste rétribution est d’intérêt public. Le syndicat de la corporation le prêche de façon didactique dans une série de clips : l’élaboration de traitements est de plus en plus longue et coûteuse. Des investissements que les laboratoires ont besoin d’amortir, tant que leur molécule est protégée par un brevet et qu’ils sont censés réinjecter en permanence dans la Recherche et Développement (R&D). Ainsi, couper les vivres aux laboratoires par des prix trop bas reviendrait à tarir l’innovation. Sans parler des risques pour l’emploi que l’industrie pharmaceutique brandit à l’occasion…

De ce point de vue, on donnerait aux labos tout l’or du monde sans condition. Mais on ne le sait que trop, les caisses de l’Etat sont vides. Alors il faut transiger.

Certains prix libres, d’autres réglementés

Au terme souvent d’années de développement, le parcours commercial d’un produit pharmaceutique commence par l’obtention auprès des autorités sanitaires d’une Autorisation de mise sur le marché (AMM). Dans sa demande, le laboratoire détaille la composition du médicament, ses indications, ses modalités d’utilisation, la population cible ou encore les effets indésirables révélés par les études pré-cliniques. La documentation qu’il fournit doit surtout convaincre que le rapport bénéfices/risques est positif.

Dès lors qu’il dispose du précieux sésame, le laboratoire est libre de proposer son produit à la vente (ou pas) et ce au prix de son choix. Les pouvoirs publics n’ont en effet voix au chapitre qu’à partir du moment où le médicament a un coût pour la collectivité, autrement dit si la Sécurité sociale s’engage à rembourser tout ou partie de son prix aux assurés. C’est là que les choses se compliquent et que la procédure de fixation des prix, pourtant balisée, s’avère bien plus opaque qu’il y paraît, entre enjeux sanitaires et financiers.

Le processus de décision, en théorie…

Sur le papier, tout s’articule autour de deux notions clés, mais subjectives et fluctuantes dans le temps : le Service médical rendu (SMR) et l’Amélioration du service médical rendu (ASMR). Sur la foi du dossier scientifique élaboré assez librement par un industriel en vue du remboursement de son traitement, un organisme indépendant, la Haute autorité de santé (HAS) et en son sein la Commission de la transparence (CT), évalue l’intérêt intrinsèque du produit et sa valeur ajoutée par rapport à l’existant. Le premier critère va aider à déterminer le futur taux de remboursement, le second aura un impact sur son prix.

Vous vous sentez perdus dans cette forêt d’acronymes ? Les choses vous semblent compliquées ? Accrochez-vous, ce n’était que le début de la notice. La Commission de la transparence n’est en effet pas décisionnaire, elle n’émet qu’un avis à l’usage de deux instances administratives. La décision d’inscrire ou non un médicament au remboursement revient d’abord au ministère de la Santé. En cas d’accord, il passe le relais à l’Union nationale des caisses de l’assurance maladie (UNCAM) qui arrête le taux de prise en charge, de 15% quand le SMR est jugé « faible » à 100% pour les médicaments « irremplaçables et coûteux ».

En dernier ressort, le prix est fixé par le Comité économique des produits de santé (CEPS), un organisme interministériel dans lequel sont représentés le ministère de la Santé, celui de l’Industrie, Bercy et l’Assurance maladie. Le prix est en théorie surtout fonction de l’ASMR, du prix des médicaments équivalents, des tarifs pratiqués dans quatre pays voisins de l’Union européenne, du volume prévisionnel de ventes, ainsi que des frais de développement et de production annoncés par le fabricant.

… et en coulisse

A lire les plaquettes gouvernementales, à entendre le discours des entreprises du médicament, on croirait que les prix sont déterminés à partir de critères objectifs, de façon quasi mécanique et univoque par les pouvoirs publics. C’est oublier que, sous le sceau du secret industriel, le prix d’un médicament découle fondamentalement d’une négociation aussi serrée que confidentielle entre le CEPS et les fabricants.

Il est d’autant plus difficile d’y voir clair que le Comité et les laboratoires conviennent parfois d’un certain prix, élevé, assorti d’une compensation en sous-main. L’arrangement fait les affaires de l’Etat, qui préserve ainsi les comptes de la Sécu, et des laboratoires, qui gardent les coudées franches sur les marchés voisins, mais pas des consommateurs et des mutuelles, qui ne voient pas la couleur de la ristourne.

Sans faire de procès d’intention au CEPS, force est de constater que le système manque singulièrement de transparence, d’autant que les règles de fixation des prix ne sont pas gravées dans le marbre. Ainsi, souligne la Cour des comptes, alors que cette instance administrative n’en a pas la légitimité scientifique, il a pu arriver que le CEPS ignore ou reconsidère l’ASMR d’un médicament afin d’aboutir à un niveau de prix qui satisfasse toutes les parties. Ainsi, contre le principe établi, des médicaments n’apportant pas d’amélioration manifeste ont été introduits sur le marché plus cher que leurs concurrents.

Dans son rapport de 2011, la Cour des comptes ne nie pas qu’une certaine logique économique puisse être à l’œuvre, mais se demande si elle est conciliable avec les intérêts de l’Assurance maladie. Passons. On aura bien compris qu’il n’y a pas de juste prix en matière de médicaments, pas de grilles intangibles, mais la recherche d’un accommodement raisonnable.

— Solvadi : un cas d’école et une loi de circonstance —

Encore faut-il que les laboratoires jouent le jeu, or ce n’est pas toujours le cas, comme on a pu le mesurer récemment avec le Sovaldi, un traitement extrêmement efficace de l’hépatite C, facturé à prix d’or. Pendant des mois, les négociations ont achoppé sur le prix de cet antirétroviral, propriété du laboratoire Gilead. Ce produit agit plus vite que les traitements de référence, ses effets secondaires sont moindres et, surtout, il assure près de 90% de guérison. Seul hic, le Sovaldi, qui n’est prescrit qu’à l’hôpital, coûtait la bagatelle de 58.000 euros par patient. Un symbole écrasant de la dérive des prix qui a amené le gouvernement à légiférer.

Réputé bon payeur, l’Etat français ne lésine pas sur les médicaments innovants, quel qu’en soit le coût. Provisoirement, le CEPS avait accepté ce tarif prohibitif, qui ne devait concerner que 2.000 patients environ. Par la suite, l’Autorisation de mise sur le marché du Sovaldi a cependant été étendue, de sorte que 200.000 personnes pourraient en bénéficier. De salée, l’addition est devenue impensable. Fin novembre, le coût du traitement a finalement été ramené à 41.000 euros, soit le plus bas prix affiché en Europe (contre près de 70.000 euros aux Etats-Unis et moins de 800 en Inde). La mesure est rétroactive, ainsi le laboratoire Gilead devra rembourser un trop perçu. En outre, on peut imaginer que l’accord comporte de discrètes remises sur le prix officiel.

Par ailleurs, la loi de financement de la Sécurité sociale 2015 a introduit un système pour limiter la casse. Au-delà d’un certain plafond de dépenses liées à l’hépatite C, les « entreprises exploitant les médicaments les plus contributeurs à la dépense » devront reverser une partie de ce chiffre d’affaires à la Sécurité sociale sous forme d’un impôt progressif. L’épisode semble ainsi clos, mais n’en laisse pas moins un goût d’inachevé. Peut-on se satisfaire d’une telle rustine sur les comptes de la Sécu, quand le problème de fond, le prix exorbitant de certains médicaments, reste entier ? C’est sur ce front que Médecins du Monde vient d’engager un recours auprès de l’Office européen des brevets, visant à faire tomber le monopole de Gilead sur le sofosbuvir, la molécule du Sovaldi. De cette façon, l’ONG souhaite permettre la commercialisation de versions génériques de ce médicament, à un tarif plus proche de son coût de fabrication (au plus 120 euros, selon les estimations d’un chercheur britannique).

Sources
• A propos de l’Autorisation de mise sur le marché
• Prix et taux de remboursement vu du ministère de la Santé
• Cinq vidéos didactiques mais orientées du Leem (Les Entreprises du médicament)
• La note d’analyse du Commissariat général à la stratégie et à la prospective
• Le point de vue très critique de la Cour des comptes dans son rapport sur la Sécu de 2011 (PDF)

Lire aussi…
Une équation très complexe (sur apivia-prevention.fr) :
le schéma – simplifié – de la procédure d’autorisation, de remboursement et de fixation du prix d’un médicament.

POUR ALLER PLUS LOIN

• L’excellent dossier du site Pourquoi Docteur sur la dérive des prix :
Ces médicaments qui menacent la Sécurité sociale
Des molécules innovantes mais trop coûteuses
Les pistes pour réguler les prix des médicaments

La parade du gouvernement pour limiter le coût du Sovaldi

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