D’ici quelques décennies, l’impression 3D permettra peut-être de remplacer les organes malades par des greffons flambant neuf. Elle a déjà un intérêt très concret dans la formation des chirurgiens et la pharmacologie. Explications.

Les chantres du transhumanisme sont convaincus que les progrès de la science et des technologies permettront un jour de remplacer les organes défaillants, voire d’en fournir de plus performants. Au point, a-t-on déjà évoqué dans ce magazine, que certains patients se fassent cryogéniser à leur mort, dans l’espoir qu’on pourra réparer leur corps avec des « pièces » de rechange sur mesures ou injecter leur conscience dans un organisme de synthèse.

On pourrait en sourire, si des dizaines de laboratoires de recherche n’œuvraient effectivement à l’impression de tissus et d’’organes fonctionnels. Ce fantasme de la médecine régénérative est loin d’être réalisé, cependant vu les avancées en matière d’impression 3D, ce n’est plus de la science-fiction, mais une question de temps.

Chirurgie : des organes factices pour se faire la main

Dès à présent, grâce aux progrès phénoménaux de l’imagerie médicale (scanner, laser ou IRM) et de l’impression en trois dimensions, il est possible de produire des maquettes d’organes d’une fidélité absolue. De cette façon, une startup française très en vue, Biomodex, affirme pouvoir « photocopier », à quelques microns près, un organe humain, voire celui d’un individu en particulier.

Ces maquettes, réalisées en matériaux synthétiques, ne sont pas fonctionnelles, mais elles reproduisent dans leurs moindres détails, la forme, les dimensions, la texture et surtout les propriétés biomécaniques d’une partie de l’organisme, imbrication de tissus durs et mous incluses, sans parler d’un ersatz de système vasculaire et du flux sanguin simulé par une pompe. L’entreprise japonaise Fasotec, qui « clone » aussi des organes et leurs pathologies, notamment tumorales, va jusqu’à en reproduire le poids.

Modèle 3D d'un thorax de sœurs siamoises En 2015, le modèle 3D d’un thorax de sœurs siamoises permet aux chirurgiens d’optimiser l’opération délicate de séparation.

A quoi bon cette débauche d’efforts pour fabriquer un bloc de matières mortes ? He bien, l’idée est que sans nuire à personne, les chirurgiens puissent s’entraîner dessus, avec des sensations les plus proches possible d’une intervention in vivo (plus proches encore, qu’en opérant sur des cadavres ou sur des animaux). Sans même parler de l’éventuel intérêt éthique, d’un point de vue purement technique, le bénéfice d’entraîner les apprentis chirurgiens sur de pseudo-organes en résines polymérisées semble évident.

Au-delà de la formation des futurs chirurgiens, cette solution pourrait être utile à des praticiens aguerris, pour répéter à volonté avant d’accomplir un geste complexe ou inédit. Parmi les premiers exemples d’application, on peut citer le cas de Lucy Boucher, une fillette de 3 ans, à qui l’on a greffé l’un des reins de son père. La transplantation, très délicate, entre un adulte et un enfant, s’est d’autant mieux déroulée, explique le chirurgien, qu’il avait pu anticiper les mauvaises surprises en s’entraînant sur une fidèle maquette du greffon.

Vers la fabrication de tissus et d’organes vivants ?

Cette histoire n’est qu’un petit aperçu des possibles. Pour en rester aux reins, on retiendra qu’en Australie, une équipe universitaire travaille depuis deux ans avec la société Organovo à l’élaboration d’un organe artificiel pleinement fonctionnel. L’objectif, dans un premier temps, n’est pas de remplacer des reins défaillants, mais d’offrir à l’industrie pharmaceutique un moyen rapide, économique et sans danger d’éprouver la toxicité de nouveaux médicaments. Elle le fait déjà sur des petits échantillons de tissus et même sur des organoïdes, des répliques miniatures d’un organe, qui ne sauraient le remplacer, mais sont suffisantes pour tester les effets d’un produit.

De la même façon, les industriels de la cosmétique, notamment L’Oréal ont noué des partenariats avec des spécialistes de la bio-impression capables de leur fournir de la peau ou des cheveux synthétiques, afin de tester leurs produits autrement que sur des volontaires ou sur des animaux (pratique interdite dans l’UE). La technique d’impression laser de tissus dermiques vivants commence à être si aboutie que ses pionniers promettent des applications thérapeutiques d’ici une décennie, notamment au bénéfice des grands brûlés.

Antoni Atala, conférence TED Antoni Atala (directeur du Wake Forest Institute for Regenerative Medicine) présente une impression d’organe en 3D lors d’une conférence TED en 2011

Depuis quelques années, Les annonces spectaculaires s’enchaînent. On prendra avec circonspection (par manque de sources fiables) celle d’une société moscovite qui aurait implanté une thyroïde artificielle à une souris. Mais parmi d’autres travaux crédibles, on citera par exemple ceux d’une équipe américaine (le Wake Forest Institute for Regenerative Medicine) qui a réussi à produire du muscle, de l’os, du cartilage et même une petite oreille à partir de cellules souches et d’un plastique biodégradable. Ce dernier, qui sert d’échafaudage à la construction du greffon, finit par se dissoudre, tandis que les cellules le colonisent et que le système sanguin se met à l’irriguer. C’est du moins ce qui s’est passé lorsque ces chercheurs ont implanté leur oreille de synthèse sous la peau d’une souris…  On ne saurait dire quand commencera l’expérimentation sur l’homme.

A terme, pour quantité de biologistes et de médecins, le Graal est bien sûr de pouvoir greffer des organes fonctionnels imprimés à partir des propres cellules de chaque patient. Ce serait la panacée pour éviter les rejets, et c’est une nécessité, vu la problématique du don et la pénurie de greffons.

POUR ALLER PLUS LOIN

• A lire sur Le Figaro : Impression 3D, La nouvelle fabrique du corps humain
• Dans les Echos : L’impression 3D s’implante dans la santé
• En vidéo, un très bon documentaire « Les espoirs fous de l’impression 3D »
• Une approche intéressante du sujet : La lumière imprime des organes
• La visite d’un laboratoire de bioingénierie tissulaire de l’INSERM

Crédits

Photo de couverture : © Wake Forest Institute for Regenerative Medicine