Il court allumer son ordinateur en rentrant du collège pour jouer ? Il refuse de sortir avec des amis pour pouvoir se consacrer à sa passion ? Pourtant, votre ado n’est pas forcément « addict » aux jeux vidéo. Comment savoir quand s’inquiéter et comment réagir ? Entretien avec le professeur Marc Auriacombe.

Marc Auriacombe, professeur d’université et chef de département hospitalier au pôle addiction du Centre hospitalier Charles Perrens de Bordeaux, répond aux questions de notre journaliste Catherine Colombeau.

— Définition —

Qu’elle concerne une substance (alcool, médicament, drogue…) ou une pratique (alimentaire, jeux, sexe…), l’addiction est une dépendance qui fait souffrir. Sa définition varie un peu selon les chercheurs, mais certains critères comme l’incapacité à contrôler malgré des efforts, les répercussions négatives sur la vie du patient et sa souffrance, font consensus. Seul un professionnel (addictologue, médecin, psychiatre…) pourra estimer s’il s’agit bien d’addiction ou pas.

Catherine Colombeau (C.C.) : Comment détecter un comportement d’addiction ou de dépendance aux jeux vidéo chez un proche ?

Marc Auriacombe (M.A.) : Le piège pour l’entourage est de croire que le temps passé à un jeu vidéo signifie qu’il y a une addiction. En tant que parent, ami, conjoint, on doit se poser la question des dommages objectifs avérés. Même avec un temps de jeu très court, si un ado ne fait plus ses devoirs, a des résultats qui baissent, refuse d’aller en cours, ne voit plus ses amis, cela peut être une addiction aux jeux vidéo. Pour un adulte, ce sont des manquements professionnels, des échecs. Et aussi un changement de comportement social, une rupture avec sa vie d’avant. Les critères sont donc les dommages objectifs et la souffrance du joueur qui a perdu le contrôle.

Le signe subtil le plus précoce, avant les dommages avérés, ce sont les efforts du joueur pour limiter  son jeu. Si le joueur demande à l’entourage de le réveiller à l’heure, de lui rappeler d’aller se coucher, d’éteindre son ordinateur … il faut l’aider, et ne surtout pas lui répondre d’être indépendant ou le faire culpabiliser s’il ne parvient pas à freiner son jeu. L’addiction envahit la vie des gens, ce n’est pas un choix.

C.C. : Une fois ces signes inquiétants repérés, que faire ? Quels professionnels consulter ?

M.A. : Il vaut mieux consulter pour rien que venir trop tard. Plus on tarde, plus le joueur aura vécu des échecs et aura tendance au désespoir, à ne plus croire en une guérison, et refusera de saisir la main qu’on lui tend. L’addiction est un problème grave, associé à un risque de suicide. On peut la considérer comme une maladie chronique, qui ne fera qu’empirer. Il ne faut donc pas attendre, en se disant : ça ira mieux, ça va se calmer. Il faut venir consulter le plus tôt possible, dès qu’on suspecte une addiction.

L’idéal est de consulter un spécialiste, dans un service d’addictologie, à l’hôpital. Sinon, les infirmières scolaires sont formées à ces sujets et savent orienter les élèves, comme les médecins traitants. Dans chaque région, il existe les consultations jeunes consommateurs*, anonymes et gratuites, qui ne sont pas réservées à l’addiction aux substances mais aussi aux comportements, comme les troubles alimentaires ou les jeux vidéo.

On peut consulter un psychiatre ou un psychothérapeute mais il faut lui poser la question clairement : est-ce une addiction ? afin de ne pas brouiller le diagnostic et ne pas confondre avec un autre trouble. Si ce n’est pas une addiction mais juste un passionné de jeux vidéo, l’entourage devra faire de la prévention : discuter régulièrement avec le joueur pour savoir s’il contrôle toujours son jeu et n’en souffre pas.

C.C. : Comment réagir si la personne refuse d’en parler ?

M.A. : Parfois les parents et les adolescents sont en conflit, et le jeune refusera toute discussion avec sa famille. Il faut alors venir nous voir sans tarder, même sans lui ! Les professionnels de l’addiction sont habitués à ce genre de cas, ils vous aideront à trouver des stratégies pour amener votre proche à consulter.

C.C. : L’addiction aux jeux vidéo peut-elle se régler rapidement ou bien la personne risque-t-elle de déporter son addiction sur un autre sujet, voire une substance ?

M.A. : Le paradoxe est qu’il existe des solutions très efficaces, mais les patients ne le savent pas. Au bout de quelques mois, le joueur doit aller beaucoup mieux. Si ce n’est pas le cas, il faut absolument revenir nous voir, cela signifie que le traitement n’est pas adapté.

Contre l’addiction, nous avons un large panel de traitements, qui combinent des médicaments et des entretiens réguliers, avec une prise en compte systématique de l’entourage. Il faut savoir qu’il y aura des rechutes, et qu’il ne faut pas arrêter un traitement efficace. Plusieurs années sont nécessaires à stabiliser la situation, et espacer les rechutes. C’est d’autant plus important pour un jeune adulte, qui risque de manquer des opportunités, notamment professionnelles.

Souvent, les patients baissent les bras et arrêtent leur traitement trop tôt. Ils se disent : « je ne veux pas prendre de médicaments aussi longtemps », ou bien « je n’en ai plus besoin », ou « ça ne marche pas parce que je ne suis pas prêt », alors que l’addiction se sera déplacée vers un autre comportement, ou une substance telle que l’alcool ou la cigarette.

Le secret de la guérison, c’est de considérer l’addiction comme une maladie chronique, dont le patient souffre et dont il n’est pas responsable.

— Combien de cas ? —

Les études scientifiques sont encore trop peu nombreuses pour donner des chiffres précis, mais, selon le Dr. Marc Valleur, directeur du centre médical  Marmottan (spécialisé dans les addictions), la proportion de personnes « addict » aux jeux vidéo est  « en dessous de 1% des joueurs ». Ce que confirme l’IFAC (Institut fédératif des addictions comportementales, de Nantes) : « Le caractère addictif et addictogène de l’usage des jeux vidéo concernent essentiellement les jeux en réseau sur Internet et plus particulièrement les MMORPG (Massevely Multiplayer Online Role Playing Game – Jeux de rôle massivement multi-joueurs). Des études ont montré que des joueurs excessifs de jeux vidéo (plus de 30 heures par semaine) pouvaient en être « addict ». Cette véritable addiction aux jeux vidéo ne concerne qu’une faible proportion de joueurs.

L’institut précise que : « Le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) a publié en 2012 un état des lieux en France. En 5 ans, le nombre de joueurs français est passé de 17 à 28 millions de personnes, ce qui représente plus de 55% des Français. 83% des joueurs ont plus de 18 ans ». C’est pourquoi il y a plus de joueurs adultes que d’ados touchés par l’addiction aux jeux vidéo.

POUR ALLER PLUS LOIN

• Trouver une consultation jeunes consommateurs dans sa région.
• Institut fédératif des addictions comportementales
• Le jeu pathologique dans une perspective addictologique, Université de Bordeaux

Crédits

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